NARCISSE
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" Le narcissisme fonde à la fois l'image de notre moi et l'histoire de nos représentations. " Daniel ARASSE, "Les miroirs de Cindy Sherman", Anachroniques, Gallimard, 2006, p. 103
L'auto-érotisme
est du point de vue ontogénétique le précurseur du narcissisme.
De l'un à l'autre, il y a passage par la reconnaissance de soi dans l'image
réfléchie, soit le " stade du miroir ".
Le thème de la chasse amoureuse (comme dans La Dame à la licorne) : La nymphe Echo rencontre Narcisse
au cours d'une chasse - à quel gibier ? et en tombe passionnément
amoureuse. Narcisse refuse l'amour de la nymphe (" Je mourrai plutôt
que d'être à toi ! "), c'est-à-dire l'amour de la femme
et pour elle. Car ce serait là reconnaître la différence des
sexes, l'accepter, l'investir érotiquement, ce dont Narcisse a toujours
été incapable. On apprend, en effet, qu'avant celui fatal d'Echo,
Narcisse avait déjà repoussé l'amour d'un grand nombre de
jeunes filles, de nymphes, et même aussi (variante) de jeunes hommes. Ladite
variante impliquant évidemment la bi- et l'homosexualité.
Pour
Narcisse et dipe, l'oracle de Delphes c'est-à-dire
le Destin a été consulté. Pour
dipe : son futur père, Laïos, descendant des rois de Thèbes,
inquiet de la stérilité de son mariage avec Jocaste, interroge secrètement
le devin aveugle Tirésias. " C'est peut-être une faveur des
dieux, car tout fils né de Jocaste tuera son père de ses mains.
" Ayant enivré Laïos qui l'avait répudiée, Jocaste
réussit à être enceinte et donne naissance à dipe. Pour Narcisse : Liriopé, sa mère, à sa naissance, demande à Tirésias si son fils aura une longue vie. " Narcisse vivra très vieux à condition qu'il ne se regarde jamais. " Il
est dans la nature du Destin d'être à la fois présent et caché,
révélé et crypté, déjoué mais fatal,
connu et inconnu.
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La fleur lie " mort et naissance " dans un
symbolisme universel. Gage d'amour
entre les vivants, la fleur honore les morts dont on veut conserver la présence. Le
narcisse, de la famille des amaryllidées (Amaryllis, jeune bergère
chez Théocrite et Virgile et Tityre son soupirant)
est utilisée en pharmacopée. Il contient une huile dont on extrait
un baume recommandé dans les affections des oreilles (cf. Echo) et contre
les engelures. Utilisé à mauvaise dose, c'est un toxique (Cf. narcose,
narcotique). Encore l'association fondamentale " vie et mort ". " Narcisse, héros de l'ambiguïté de l'être et de l'amour, est mort de sa dépendance addictive à lui-même ; et c'est pourquoi sa fleur, Narkissos, elle au contraire vivante et reflorissante, le représente au bord de sa sépulture aquatique, maternelle, post mortem. " Le narcisse " symbolise simultanément la vie végétale, florale, renaissante, et la létalité humaine. Par là on retrouve aussi une autre gémellité : Hypnos, le sommeil, et Thanatos, la mort. "
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La Fontaine Périlleuse est l'un des clichés des féeries bretonnes. Dans son roman Le Chevalier au Lion, Chrétien de Troyes place la Fontaine Périlleuse à l'ombre d'un pin toujours vert, symbole d'éternité, " pour mieux l'assimiler à une porte de l'autre monde. "
Dans la littérature médiévale, la fontaine est une porte d'accès à l'Autre Monde (cf. l'histoire de Saint Brendan). La fontaine du Chevalier au Lion signale l'entrée d'un monde merveilleux, où l'amour est possible avec la dame idéale. Peut-être est-il difficile d'y lire l'évocation du paradis chrétien où l'idée de tout érotisme semble exclue car Chrétien de Troyes revendique un au-delà où l'amour peut s'érotiser.
Cette fontaine, dans Le Chevalier au Lion est
un lieu magique car il représente l'union des contraires :
La description de la fontaine 1- Le point de vue du " vilain "
2- Le point de vue de Calogrenant rapporté à la cour du roi Arthur (*tierce : troisième heure canoniale de la journée. Equivalant à neuf heures du matin)
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scènes en une seule image : Pour "venger
la honte" de son cousin et pour trouver l'Aventure, Yvain
veut tenter à son tour l'aventure de la Fontaine magique dans laquelle
Calogrenant a échoué. Arthur déclare de son côté
qu'avant quinze jours, il ira "veoir" la fontaine magique et "la
tempeste et la merveille" accompagné de tout ceux qui le voudront.
Scène
1- combat entre Yvain et Esclados
Scène
1- Lunete conduit Yvain et son lion
auprès de Laudine.
" Ainsi résumée, l'intrigue possède de nombreux parallèles. Elle s'apparente au Lai de Guingamor, car Yvain est considéré comme mort par ses compagnons pendant qu'il coule des jours heureux avec sa fée dans l'autre monde. Son invisibilité (temporaire) va dans ce sens, car, en principe, un homme invisible est un homme trépassé. C'est le désir de goûter à nouveau sa vie passée qui pousse Yvain, comme Guingamor à demander un congé à sa fée. Celle-ci impose également une limite temporelle en l'occurrence à son séjour parmi les vivants. En enfreignant cette limite, Yvain " s'éternise " sur terre et perd le chemin de l'autre monde, pour ne le retrouver qu'après une longue période d'égarement. Son retour parmi les vivants, qui n'aura été qu'une longue parenthèse, peut s'interpréter comme l'errance d'un revenant piégé ici-bas dans un état d'aliénation, ne retrouvant plus le chemin de l'au-delà.
La
fontaine merveilleuse de Brocéliande :
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Alors
je suis arrivé C'était
le soir, Quelque
chose D'ailleurs, J'ai
su Je
lui ai caressé Et
de nous la fontaine
Elle
avait toujours su Il
y aurait une fontaine Cela
commencerait à la fontaine Ce
serait près de la fontaine Ce
serait dans le palais Elle
va, De préférence dans les forêts. - - - - - - - -
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Pier
Paolo Pasolini, Dansa di Narcìs Dansa
di Narcìs Soj levat
ienfra li violis
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Pour notre amusement commun, je rapprocherai malicieusement les deux cristaux de la Fontaine du Verger de Déduit aux " Crânes de cristal ". Le crâne dit " de Paris ", présenté autrefois au musée de l'Homme du Palais de Chaillot, et désormais dans les collections du musée du quai Branly, a été offert par l'explorateur Alphonse Pinart en 1883. Ce crâne, en quartz limpide d'une grande pureté, mesure 11 cm de haut et pèse presque 2,8 kg ; sa mâchoire n'est pas séparée du reste du crâne. Il est traversé de haut en bas par un orifice de forme bi-conique : il aurait pu ainsi être le support d'un crucifix. Ce crâne possède à l'arrière un prisme de telle sorte que tout rayon de lumière qui touche les orbites est reflété à cet endroit et que toute personne qui regarde dans les orbites peut voir le reflet de la salle entière. Guillaume de Lorris a-t-il eu des rapports très étroits avec des prêtres aztèques et mayas en un rêve des plus fous ? Plusieurs
archives démontrent qu'aucun crâne de cristal n'aurait été
découvert lors de fouilles archéologiques. Le British Museum et
la Smithonian Institution décident alors de soumettre leurs crânes
à des expertises.
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" Le terme de narcissisme provient de la description clinique, et a été
choisi en 1899 par P. Näcke pour désigner le comportement par lequel
un individu traite son propre corps de façon semblable à celle dont
on traite d'ordinaire le corps d'un objet sexuel : il le contemple donc en y prenant
un plaisir sexuel, le caresse, le cajole, jusqu'à ce qu'il parvienne par
ces pratiques à la satisfaction complète. Développé
à ce point, le narcissisme a la signification d'une perversion qui a absorbé
la totalité de la vie sexuelle de la personne, et où nous devons
par conséquent nous attendre à rencontrer les mêmes phénomènes
que dans l'étude de toutes les perversions.
" Nous voyons également, en gros, une opposition entre la libido du
moi et la libido d'objet. Plus l'une absorbe, plus l'autre s'appauvrit. La plus
haute phase de développement que peut atteindre la libido d'objet, nous
la voyous dans l'état de passion amoureuse, qui nous apparaît comme
un dessaisissement de la personnalité propre, au profit de l'investissement
d'objet ; son opposé se trouve dans le fantasme (ou l'autoperception) de
fin du monde, chez le paranoïaque. Enfin, concernant la distinction des sortes
d'énergie psychique, nous concluons que tout d'abord, dans l'état
du narcissisme, elles se trouvent réunies, indiscernables pour notre analyse
grossière ; c'est seulement avec l'investissement d'objet qu'il devient
possible de distinguer une énergie sexuelle, la libido, d'une énergie
des pulsions du moi. "
" Enfin, concernant la distinction des sortes d'énergie psychique,
nous concluons que tout d'abord, dans l'état du narcissisme, elles se trouvent
réunies, indiscernables pour notre analyse grossière ; c'est seulement
avec l'investissement d'objet qu'il devient possible de distinguer une énergie
sexuelle, la libido, d'une énergie des pulsions du moi. " " En cela nous présupposons le narcissisme primaire de tout être humain, narcissisme qui peut éventuellement venir s'exprimer de façon dominante dans son choix d'objet. " |
Le narcissisme exposé par Erich FROMM dans Grandeur et limites de la pensée freudienne, Robert Laffont, 1980, pp. 74-89
Au congrès de la Société psychanalytique de Vienne, en 1909, Freud disait que le narcissisme était un état intermédiaire entre 1'autoérotisme et l'" objet d'amour ". On trouve dans Introduire le narcissisme (1914) la première étude approfondie du narcissisme. Freud ne considérait plus le narcissisme comme étant essentiellement une perversion sexuelle, l'amour de l'homme pour son propre corps, comme le pensait Näcke qui avait introduit le terme, mais comme un complément à l'instinct d'autoconservation.
[ ] Si Freud n'avait pas été prisonnier du concept de l'" appareil psychique ", version prétendument scientifique de la structure humaine, il aurait renforcé dans bien des directions la signification de sa découverte.
[ ] Ce
concept physiologique des investissements libidinaux du moi en tant qu'opposé
aux objets a rendu difficile pour les non-initiés la compréhension
de la nature du narcissisme sur la base de leur propre expérience. C'est
pour cette raison que je veux le décrire d'une façon plus accessible. [ ] Tout dépend, évidemment, du degré d'intelligence, de dons artistiques et d'instruction de la personne narcissique. Beaucoup d'artistes, d'écrivains, de chefs d'orchestre, de danseurs et d'hommes politiques très créatifs sont extrêmement narcissiques ; leur narcissisme ne compromet pas leur art ; au contraire, il le favorise. Ils doivent exprimer ce qu'ils ressentent subjectivement, et plus leur subjectivité a d'importance pour leur travail, plus celui-ci gagne en qualité.
[ ] Je présume que la raison du pouvoir de séduction de l'être narcissique est qu'il offre l'image de ce que voudrait être l'individu moyen ; il est sûr de lui, ne doute de rien, a toujours l'impression de dominer la situation. L'individu moyen, par contre, n'a pas cette assurance ; il est souvent assailli par le doute et il a tendance à penser que les autres lui sont supérieurs. On peut se demander comment il se fait qu'un narcissisme extrême n'ait rien de repoussant. Il est facile de répondre à cette question : l'amour vrai, de nos jours, est si rare que la plupart des gens n'en ont pas d'exemple sous les yeux. L'individu narcissique offre le spectacle de quelqu'un qui aime au moins une personne: lui-même. [ ] Il est important de comprendre que le narcissisme que l'on peut appeler l'" amour de soi " est à l'opposé de l'amour, si on entend par amour l'oubli de soi au bénéfice d'autrui.
[ ] Le narcissisme peut porter bien des masques ; la sainteté et le sens du devoir, la bonté et l'amour, l'humilité et l'orgueil ; il va de l'attitude de l'individu hautain, arrogant, à celle de l'humble, du modeste. Tous hommes et femmes disposent de bien des stratagèmes pour voiler leur narcissisme, sans guère en être conscients et sans se rendre compte de la fonction de ces stratagèmes. Mais s'ils ne parviennent pas à convaincre les autres, si leur narcissisme est, pour ainsi dire, percé à jour, ils peuvent s'effondrer comme une baudruche crevée ; ou ils peuvent être intensément furieux, pleins d'une colère impitoyable. Blesser le narcissisme de quelqu'un, c'est provoquer à coup sûr ou bien une dépression ou bien une haine implacable. Le narcissisme de groupe est particulièrement intéressant. Il s'agit d'un phénomène de la plus haute importance politique. Après tout, l'homme moyen vit dans des conditions sociales qui limitent le développement d'un narcissisme intense. Qu'est-ce qui pourrait donc alimenter le narcissisme d'un homme pauvre, à peu près privé de tout prestige social, et dont les enfants eux-mêmes semblent le regarder de haut ? Il n'est rien, mais s'il peut s'identifier à sa nation, ou s'il peut transférer son propre narcissisme à la nation, alors il est tout. [ ] Si quelqu'un dit : " Ma nation est la plus puissante, la plus cultivée, la plus pacifique, la plus douée de toutes les nations ! " on ne le prend pas pour un fou, mais pour un citoyen très patriote. Il en est de même du narcissisme religieux. On trouve tout à fait normal que les millions d'adeptes d'une religion donnée proclament qu'ils détiennent la vérité et que leur croyance est la seule voie du salut. Les groupes scientifiques ou politiques offrent d'autres exemples de ce type de narcissisme. L'individu satisfait son narcissisme s'il appartient au groupe et s'il peut s'identifier à lui. Lui-même n'est rien, mais il est membre du groupe le plus merveilleux du monde. [ ] C'est
dans le caractère narcissique des réactions de groupe (qu'il s'agisse
de groupes nationaux, politiques ou religieux) que se situe la racine du fanatisme,
quel qu'il soit. Quand le groupe commence à personnifier le narcissisme
individuel, toute critique dirigée contre lui est ressentie comme une attaque
personnelle. [ ] Ce narcissisme de groupe pourra-t-il disparaître un jour et, avec lui, les conditions nécessaires à la guerre ?
[ ] Il en résulte que l'homme moderne a conçu un orgueil prodigieux pour ses créations ; il s'est pris pour un dieu, il a ressenti toute son importance en contemplant la splendeur de la nouvelle Terre faite de la main de l'homme. Ainsi, en admirant sa deuxième création, il s'est admiré en elle. [ ] L'homme regarde ce miroir qui reflète non pas sa beauté, mais son ingéniosité et sa puissance. Se noiera-t-il dans ce miroir, comme l'a fait Narcisse en admirant l'image de son corps parfait réfléchie à la surface de l'étang ?
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William
Shakespeare, Sonnet LXII Sin
of self-love possesseth all mine eye Methinks no face so gracious
is as mine, But
when my glass shows me myself indeed, 'Tis thee, myself, that
for myself I praise,
Traduction de Pierre Jean Jouve
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déposé sur le site le 28 Janvier 2012
dernière modification le 08 Mars 2017