Athéna
: pourquoi Jean Perréal a-t-il pensé à elle ?
Dans
son Introduction à la philosophie du mythe (tome 1 : Sauver les
mythes, Vrin, 1996 et 2005, pp. 194-197), Luc Brisson retrace la réapparition
des dieux antiques :
"
La Renaissance a recueilli et développé les diverses interprétations
des dieux proposées au Moyen Âge : sur ce plan en tout cas, la Renaissance
est largement redevable au Moyen Âge. Si cette continuité a été
généralement méconnue, c'est que, dans l'intervalle, la forme
des dieux antiques s'était dégradée ; ils étaient
devenus méconnaissables.
Les
dieux antiques redeviendront ce qu'ils étaient grâce au travail d'érudits
qui éditeront, traduiront et commenteront les textes grecs qui n'étaient
pas disponibles au Moyen Âge, ou qui publieront et expliqueront les nombreuses
représentations figurées qu'ils avaient pu découvrir. Par
ce perpétuel mouvement de va-et-vient entre les travaux des érudits,
des historiens et des philosophes et les uvres des artistes de toutes sortes
: sculpteurs, peintres, graveurs etc., l'allégorie s'aventure hors des
limites du langage et s'impose dans le domaine des représentations figurées.
" (pp.191-192)
Ainsi,
toute l'uvre d'Homère était à redécouvrir.
" Au cours du Moyen Âge, les héros de la guerre de Troie
étaient considérés comme des ducs, des comtes, des chevaliers
; et leurs aventures et leurs personnalités étaient connues non
pas à travers Homère, mais par l'intermédiaire d'Ovide, de
Virgile, de Stace, de Dictys, de Darès, de Benoît et de Guido. L'Iliade
médiévale se réduisait à un Pindarus Thebanus de
bello Trojano, un résumé du poème épique en 1100
mauvais hexamètres latins. "
Pilate,
à la demande de Boccace, avait réalisée une traduction en
prose d'Homère. Mais, Homère ne fut pas vraiment lu en Occident
avant qu'Angelo Politiano n'eût entrepris de terminer la traduction de l'Iliade
commencée par Carlo Marsuppini. Encore, n'alla-t-il pas au-delà
du livre V.
On ne lisait
Homère que pour y trouver un enseignement moral. Il en était de
même pour l'édition : Chalcondyles et Acciaiuoli, dans l'édition
de Florence en 1488, incluent le discours sur Homère de Dion Chrysostome,
la biographie d'Homère attribuée à Hérodote et la
Vie et la poésie d'Homère attribuée à Plutarque.
Les éditions et traductions d'Homère ultérieurement publiées
s'enrichirent de commentaires allégoriques de plus en plus nombreux.
"
Le mouvement culmina avec la publication des Questions homériques
et de L'Antre des nymphes de Porphyre en 1531 [
] D'autres érudits
abordaient Homère non d'un point de vue littéraire plus ou moins
moralisé, mais d'un point de vue historique, en utilisant des arguments
inspirés de l'évhémérisme. [
] Un troisième
groupe d'érudits établissait toutes sortes de parallèles
entre Homère d'une part, l'Ancien et le Nouveau Testaments d'autre part.
Quelques-uns même trouvaient chez Homère des traces de doctrines
chrétiennes, découverte qu'ils avaient réussi à faire
chez Platon, Sénèque, Orphée, Virgile et d'autres auteurs
grecs et romains. "
"
Une interprétation historique : l'évhémérisme
Au
début du 16e siècle, l'interprétation évhémériste
était connue à travers l'usage qu'en avaient fait ses sectateurs
païens et les Pères de l'Église qui y avaient eu recours. Mais
la prétendue découverte par Giovaoni Nannio de Viterbe [Antiquitatum
varirum volumina XVII, Paris, 1512] d'historiens très anciens, supposés
avoir été perdus, présentait d'autant plus d'intérêt
pour ceux dont la ferme intention était de démontrer que la mythologie
grecque dans son ensemble pouvait en définitive s'expliquer par une distorsion
de l'histoire volée à Moïse. Parmi la douzaine d'auteurs "
retrouvés " par Nannio, on comptait la prétendue Histoire
des Chaldéens qu'aurait écrite Bérose de Babylone. En
dépit de doutes émis par certains sceptiques, ce faux fut largement
utilisé jusqu'au 18e siècle ; et on se référa systématiquement
à sa chronologie. L'idée qui présidait à cet immense
effort était la suivante : à l'aide de recherches étymologiques
et en utilisant des biographies comparées, on pouvait montrer que l'Ancien
et le Nouveau Testaments se trouvaient derrière les doctrines, les cultes
et l'histoire des autres religions. " (pp. 213-214)
Le
premier à proposer une interprétation évhémériste
cohérente fut Jean Lemaire de Belges, qui publia à Paris
en 1512 son ouvrage Illustrations de Gaule et singularitez de Troye qui
fut réimprimée plusieurs fois.
Jean
Perréal a donc pu lire Homère soit en grec (mais le savait-il ?),
soit dans une traduction, rapportée d'Italie par exemple.
Athéna
: comment la reconnaître ?
Athéné,
la fille de Zeus porte-égide, laisse couler sur le sol de son père
la robe souple et brodée qu'elle a faite et ouvrée de ses mains.
Puis, enfilant la tunique de Zeus, assembleur de nuées, elle revêt
son armure pour le combat, source de pleurs. Autour de ses épaules, elle
jette l'égide frangée, redoutable, où s'étalent en
couronne Déroute, Querelle, Vaillance, Poursuite qui glace les curs,
et la tête de Gorgô, l'effroyable monstre, terrible, affreuse, signe
de Zeus porte-égide. Sur son front, elle pose un casque à deux cimiers,
à quatre bossettes, casque d'or, qui s'orne des fantassins de cent cités.
Elle monte enfin sur le char de flamme et saisit sa pique, la lourde, longue et
forte pique sous laquelle elle abat les rangs des héros contre qui va sa
colère de fille du Tout-Puissant. Homère, Iliade,
chant V

amphore
du "peintre de Berlin" - collection Ciba - Bâle
Le
second demi-chur : Ô Pallas, protectrice de la cité,
souveraine de cette terre la plus sacrée de toutes, et qui l'emporte sur
toutes par les armes, les muses et les richesses, viens au milieu de nous, accompagnée
de notre collaboratrice dans les expéditions guerrières, la victoire,
qui va nous accompagner dans les churs et se mettre de notre côté
contre nos ennemis. Allons, viens ; montre-toi maintenant, car il faut qu'aujourd'hui
plus que jamais tu procures la victoire à notre troupe. Aristophane,
Les Cavaliers
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ath%C3%A9na
http://www.yrub.com/mytho/athena.htm
La
Dame est grande : la plupart des statues grecques d'Athéna étaient
de grandes statues : celle sculptée par Phidias, dans l'Hécatompédon
du Parthénon était, selon Pline l'Ancien, haute de 26 coudées
soit environ 11,50 m, probablement avec la base.
Sa
robe est chargée d'or et doublée d'hermine blanche : la statue d'Athéna
sculptée par Phidias, et pour laquelle après avoir été
confondu de détournement de matériaux précieux, il a été
condamné à l'exil, était Chryséléphantine,
c'est-à-dire en grande partie recouverte d'or et d'ivoire. L'hermine est
la symbole de la chasteté (Athéna se voulait d'une virginité
farouche) et sa présence près de la corne de la licorne semblable
à un glaive ou à une lance fait du portrait de la Dame une variation
sur le thème de la " juste verge " qu'était Athéna.
Certaines spirales sur la robe de la Dame évoquent-elles les serpents lovés
sur celle d'Athéna ou sur son écu ?
La
Dame a les yeux agrandis et fixes : Athéna foudroyait ses ennemis du regard.
C'était la déesse aux yeux pers qu'Homère n'omet jamais d'appeler
au secours de ses protégés.
Ses
magnifiques cheveux blonds, serpentaires, tombent sur ses reins : cette forme
de coiffure en escaliers est typique de la statuaire grecque et particulièrement
des statues d'Athéna parfois appelée la déesse à l'opulente
chevelure. Elle a le serpent pour attribut (référons-nous aux mythes
de Kécrops, d'Erichthonios, de Laocoon). Chaque mois, selon Hérodote,
des gâteaux de miel sont offerts au grand serpent sacré, " le
gardien de l'Acropole ", vivant dans son sanctuaire. Euridipe signale aussi
l'usage à Athènes de faire porter de petits serpents aux nourrissons,
à l'image d'Erichthonios materné par Athéna.
Chevelure
de serpents, signe de discorde. la Dame est Athéna, la déesse grecque,
de la guerre mais aussi de la sagesse et de la raison. Grande, mince, majestueuse,
femme virile, elle se dresse fièrement sur son île - champ de bataille.
Jamais la Dame n'a été représentée ainsi. La reviviscence
de l'étude de l'Antiquité et des emprunts à ses arts peut
être datée de la découverte du marbre hellénistique
du Laocoon à Rome en 1506.

Athéna
portant la tête de Méduse
sur sa tunique - Vase d'Etrurie
Examinons
attentivement le diadème que porte la Dame. Il présente deux excroissances
aiguës qui l'apparentent au diadème qu'Héphaïstos a, selon
la mythologie, ciselé pour Athéna et que les artistes grecs ont
représenté.
La vierge de l'Acropole aux yeux pers est bien ainsi
femme séduisante, mais aussi et avant tout, obrimopatrè (au
dire d'Hésiode), " fille du dieu fort ", Zeus, qui l'a dotée
de ses pouvoirs et de ses attributs.
Sur les autres tapisseries, les cinq
de la série initiale, Mary ne porte pas de couronne ou de diadème.
(George Sand écrit qu'elle " porte un turban " sur l'un des deux Trônes disparus ; que portait-elle sur l'autre ?)
L'effigie
(le xoanon), " pièce de bois brute non travaillée ",
représentant Athéna, était richement habillée et parée
d'ornements, le tout constituant le kosmos : - un voile, le peplos
annuel mis sur le métier neuf mois avant les cérémonies
par deux jeunes filles désignées par le roi parmi quatre jeunes
Athéniennes de 7 à 11 ans, de " bonne naissance ", les
ergastines - de luxueux bijoux : une couronne ou diadème d'or
aux nombreuses ciselures, des pendants d'oreilles, de nombreux colliers -
les insignes tous en or pour fasciner et terrifier : la chouette, l'égide
au centre de laquelle était placée une tête grimaçante
de Gorgone, le gorgoneion.
Athéna
est qualifiée de Tritogénia car elle représente la
raison qui est mère des trois opérations essentielles de l'esprit
: la réflexion, la parole et l'action.
Pour
moi, il s'agit bien de l'image d'Athéna sortie armée du crâne
de Zeus, la lance à la main et l'Egide, son bouclier en poils de
chèvre, au côté. Athéna, 'la meilleure moitié'
de Zeus, selon l'expression de Richard Khaitzine. Quelle que soit les hypostases
d'Athéna, qu'elle soit Polias, Archêgetis, Poliouchos, Promachos,
Parthénos, Nikè, Skiras, Hygieia ou Erganè, elle est
toujours dotée d'au moins un de ses attributs guerriers : l'égide,
le casque, la lance ou le bouclier. La Dame tient à la fois la lance française
d'Antoine Le Viste et la lance d'Angleterre figurée par la corne de la
Licorne. Les Egides - boucliers aux armes des Le Viste sont transcendées
par les animaux qui les ceignent : la Licorne symbolise Henry VIII et le Lion
Charles Quint.
Les Dieux
de l'Olympe s'affrontaient aussi, Au chant XXI de L'Iliade, Homère
narre la victoire d'Athéna sur Arès :

Zeus
s'interpose entre Athéna et Arès
cratère à volutes
de Nicosthénès - British Museum
"
Cependant parmi les autres divinités se précipite la discorde cruelle,
implacable, et dans tous les curs sagitent des sentiments contraires.
Les dieux sattaquent en poussant dhorribles clameurs ; la terre profonde
en mugit : du haut des cieux la trompette a sonné, et Zeus lentend,
assis au sommet de lOlympe ; il sourit, et son cur tressaille de joie
quand il voit tous les dieux livrés à la discorde : ceux-ci ne se
contiennent pas plus longtemps ; Arès, qui brise les boucliers, commence
le combat ; dabord armé dun javelot dairain, il fond
sur Athéna, et lui tient ce discours outrageant :
-
Pourquoi, déesse imprudente,
entraînes-tu les dieux à la guerre, toi revêtue dune
audace indomptable et quanime une violente ardeur ? Ne te souvient-il plus
du jour où tu excitas le fils de Tydée à me blesser ? Nest-ce
pas toi-même qui, saisissant la lance brillante, et, la poussant contre
moi, as déchiré le corps dun dieu ? Ah ! cest maintenant,
sans doute, que tu vas payer tout le mal que tu mas fait.
En
disant ces mots, il frappe la redoutable égide, ornée de franges
dor, et que ne pourrait briser la foudre même de Zeus : cest
là que frappe Arès avec sa longue lance. La déesse recule
de quelques pas, et de sa forte main saisit un noir rocher qui gisait dans la
plaine, masse énorme et raboteuse que les hommes des anciens âges
posèrent pour être la limite dun champ : Athéna la jette,
frappe le cou dArès, et le prive de sa force ; en tombant il couvre
sept arpents de terre ; la poussière souille sa chevelure, et ses armes
retentissent autour de lui. Pallas sourit à cette vue, et, triomphante,
elle laisse échapper ces paroles rapides :
Insensé ! Ne sais-tu pas combien je me glorifie de lemporter sur
toi, pour oser mesurer ta force à la mienne ? Ainsi puisses-tu expier les
imprécations de ta mère, qui, dans son courroux, te prépare
de nouveaux malheurs, puisque tu as abandonné les Grecs, et secouru les
Troyens parjures.
En
parlant ainsi Athéna détourne ses yeux étincelants ; alors
Aphrodite, la fille de Zeus, prend par la main Arès, qui pousse de profonds
soupirs et ne rappelle ses esprits quavec peine. "
Cette tapisserie Pavie participe de la revendication des bourgeois anoblis
à prendre part, eux aussi, au pouvoir, comme " le rhéteur s'attache
à faire de l'Athènes antique le modèle de la constitution
mixte, mélange harmonieux où cependant l'aristocrate domine : dotée
de la constitution des ancêtres, don d'Athéna approuvé par
Apollon, la cité est gouvernée par l'heureuse conjonction de la
vertu des Aréopagites et de le bonne volonté du peuple. " (Nicole
Loraux, L'Invention d'Athènes, Payot, 1981)
Athéna
Il
lui arrivait de descendre sur terre, parmi les humains. Humaine elle-même,
sur les champs de bataille, dans les villes, elle découvrait la mort qu'elle
ne connaîtrait jamais. Aux Troyens, elle préféra les guerriers
grecs de son Attique. Elle permit à Achille de tuer Hector et veilla sur
Ulysse, marin au capricieux périple, après lui avoir suggéré
l'idée du " cheval de Troie ".
Aux
humains, elle voulut faire don de l'olivier jusqu'alors inconnu, le dressant ainsi,
dans nos paysages étincelant de lumière, invincible et immortel.
Sophocle évoque ses yeux de la même couleur que les feuilles permanentes
de l'olivier. Nous aurait-elle donc donné la prunelle de ses yeux ? Glaukos,
couleur qui allie le vert et bleu, le blanc et le gris. Déesse aux yeux
pers, Athéna glaukopis. Vigilance. Une vision de chouette, perçant
les secrets de l'âme humaine, chemin de l'enseignement et de la connaissance.
Les Romains la nommèrent
Minerve.
Plus
tard, en des temps monothéistes, la Panghia, la Vierge Très Sainte,
occupera son trône, accaparant même son titre de Platytéra
tôn ouranôn, la Plus Vaste des Cieux, qu'Athéna lui abandonna,
humblement. Elle aussi avait été considérée comme
la mère de tous : les Athéniens la remerciaient d'avoir élevé
Erichthonios, leur ancêtre, premier habitant d'Athènes. Erichthonios,
que deux serpents gardaient, fils de la déesse Terre, né du sperme
d'Héphaïstos répandu dans la lutte sur la jambe d'Athéna
que cette dernière jeta à terre après l'avoir essuyé
avec de la laine.
Athéna
n'est pas toujours représentée en " petite Hélène
" svelte et tentatrice. Son second prénom est Chryséléphantine.
Gigantisation de la divinité. Elévation et toute puissance. Une
des douze divinités de l'Olympe. En touchant au ciel, on devient la Très-Haute,
on s'égale au père Zeus. N'est-on pas née de son crâne.
Toute armée. Le cri de guerre s'extirpant des poumons dépliés.
Un garçon manqué ! Au Musée national d'Athènes,
se trouve la réplique romaine en marbre de la grande statue réalisée
par Phidias pour le Parthénon entre - 447 et - 432. uvre disparue
pour nous à jamais mais dont nous parlent des documents anciens qui décrivent
une statue en bois de 12 mètres de haut, entièrement recouverte
de matières précieuses : armure et vêtements en or, peau de
la déesse en ivoire. Des rehauts de couleurs, des yeux scintillants. Des
griffons sur le casque d'or et des serpents aux yeux de pierreries enroulés
contre l'écu. Effroi et mystère, mais aussi puissance et calme,
grandeur et majesté.
Avec
la Dame en Athéna, via Anne de Bourbon, on entre dans ce que Gaston Bachelard
nomme dans " le complexe d'Atlas ", " la contemplation
monarchique " dans laquelle le sujet amoindrit le monde pour exalter
des ambitions ascensionnelles. Et l'on n'a pas tort d'évoquer à
propos de la tapisserie Pavie que cette hampe-sceptre est aussi verge-phallus.
En certains jours de fêtes en son honneur, des gâteaux en forme de
serpents et de phallus étaient offerts.
C'est bien elle, la déesse " au casque d'or ", dressée
monumentale au centre de Pavie. Du monde chthonien où se coule le
serpent à l'azur ouranien que conquiert le vol de l'oiseau. Sa chevelure,
lumière d'or, serpente le long de son corps, si anormalement longue. Hauteur,
lumière : domination du symbole solaire. A cette heure, tant de déceptions
oubliées, d'affronts lavés. Le héros solaire est un guerrier
violent. Son homologue féminine tout autant.
C'est
bien elle, la Promachos, la déesse-guerrière qui combat au
premier rang. A la main droite, l'étendard devenu lance meurtrière
; l'Egide ? une robe de velours bleu noir doublée d'hermine qu'encadrent
les " serpents " des cheveux et des anneaux entrelacés du collier.
Le gorgonéion, l'effrayant bouclier à la tête de Méduse,
est bien là sous la forme, pour la première fois, de deux écus
; la couronne-casque, pour la première fois aussi, ceignant la tête.
Elle a vaincu, regardez les entraves que portent les animaux du fond. Sur un portrait
de Nicolas de Modène, François 1er porte l'Egide. Que ne
l'eût-il à Pavie ?
C'est
bien elle, la maîtresse de l'Esprit et de la Sagesse, la Parthenos
farouchement vierge (pensons à Pénélope), déesse du
tissage qui voulut se mesurer à la jeune Arachné. En ces temps,
trop de prétention et d'outrance conduisait à la mort, pendue à
un fil ; pire, à l'animalité. Le destin de l'une était araignée,
la destinée de l'autre de régner.
C'est
elle qui représente la patrie en danger, à l'égale de Germania,
Marianne (Marie-Anne, couple de vierges ?) ou Albion.
Le
7 mars 1525, Paris apprend le désastre de Pavie. Antoine se démène.
" Pour
exciter les autres à faire leur devoir, Jean de Selve premier president,
& Antoine le Viste president s'offrirent à monter la garde aux
portes, les premiers, dès le lendemain. Il fut enjoint au prevost des marchands
& au lieutenant criminel d'envoyer deffendre à tous ceux qui tenoient
hostelleries, d'y loger qui que ce fust, sans en avertir la cour, l'archevesque
d'Aix, ou le prevost des marchands, & d'ordonner aux quarteniers de sçavoir,
chacun en son quartier, combien il y avoit de gens en chaque maison & qui
ils estoient, & d'en faire leur rapport chaque jour au prevost des marchands
& aux eschevins. Il fut aussi reglé que chacun des commissaires seroit
accompagné de dix sergens, pour empescher qu'il n'y eust aucun émeute
dans la ville ; & que le prevost & les eschevins feroient mettre en estat
l'artillerie de la ville."
Si
sa présence ressuscitée fait de cette tapisserie Pavie une
célébration de victoire, à aucun endroit des six tentures
de La Dame n'est évoquée, à mon sens, la Marie chrétienne
à laquelle Antoine Le Viste et son ami peintre croyaient peut-être
encore. Mary, Dame de Beauté, appelle un autre amour (et un souvenir
douloureux), plus terrestre, qui ne saurait mourir.
L'Oracle Jean
: qui a été plus aimé que moi ? Athéna :
Personne. Jean : Qui a été plus haï que moi ? Athéna
: Personne. Jean : Et toi que penses-tu de moi ? Athéna
: Je suis née grecque. Je suis l'aînée. Je suis le nez de
l'année. Je suis le mur, l'art mûr, l'armure. Je suis la sève
héritée. Je suis lasse et vérité. Je suis la sévérité.
Je suis la cruelle crue elle. L'aile des rues et des ruelles. Mes mensonges c'est
vérité. Sévérité même en songe. Je suis
le mythe, la railleuse. La mitre à yeux, l'amie trahie. La lance affront,
le front à lance. Je suis la moelle, je suis le sort. De moi l'art sort
à ressort. Je dis : l'art meut l'arme des larmes. Le rail du mythe
(elle
s'arrête) Jean : Et moi ? Que penses-tu de moi ? (il pousse
une pièce dans la fente.) Oracle : Tes cris, même sous
les tortures Sont cris écrits l'orgueil aidant. La mer se change
en écriture Dès qu'on jette l'encre dedans. Jean
Cocteau, Opéra. |
Anne
de Bourbon fut son égale mortelle. Tour à tour pacifique et guerrière
; sage et modérée, éloignée de tout mysticisme ; intelligente,
active, inspiratrice des arts et protectrice des artisans ; pédagogue industrieuse.
|
Athéna : comment expliquer sa présence ?
Le
Père des dieux et des hommes sourit. Il appelle Aphrodite d'or et lui dit
: - Ce n'est pas à toi, ma fille, qu'ont été données
les uvres de guerre. Consacre-toi, pour ta part, aux douces uvres
d'hyménée. A celles-là, Athéné et l'ardent
Arès veilleront. Homère, Iliade,
chant V
Si les sept
premières tapisseries de La Dame
peuvent être rattachées aux scènes qu'Arachné a tissées
lors de sa compétition avec Athéna (les amours des dieux), la huitième
est résolument celle d'Athéna qui se campe elle-même, victorieuse.

Arachné se vante de son tissage auprès d’Athéna
illustration de Épître à Othéa
(KB 74 G 27, fol. 59v), v 1450-1475
http://warburg.sas.ac.uk/vpc/VPC_search/subcats.php?cat_1=5&cat_2=119
Ovide, Métamorphoses,
Livre VI, La métamorphose d'Arachné, châtiée pour
impiété (6, 1-145)
Traduction et notes de A.-M. Boxus et
J. Poucet, Bruxelles, 2006.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/metam/Met06/M-06-001-145.htm
Sur
Athéna et Arachné : " Les métamorphoses d'Arachné.
Mythe du tissage et tissages des mythes " par Yvan Etiembre http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/art/
La bataille de Pavie, pour le peintre et son commanditaire, est assimilée
à toute guerre antique : deux camps
opposés, l'un " sauvage " et " impie ", l'autre "
juste ", placés sous l'aide et la protection antithétiques
de Dike et Húbris, d'Athéna et d'Arès.
Cette
tapisserie Pavie célèbre la victoire " juste "
et " légitime " de Dike (fille de Thémis et de Zeus, déesse
de la justice, des usages et des coutumes) et d'Athéna Chrysolopha
(" au cimier d'or ", Palladion immobile, en armes) sur Húbris
(Hybris est une divinité allégorique personnifiant l'hybris, notion
grecque traduisible par " démesure ", sentiment violent inspiré
par les passions et par l'orgueil), accordant ainsi, de façon triomphante,
une gloire militaire et politique à la femme. La noble France, toujours
guerrière et redoutable en cas de nécessité, se montre aussi
rassurante comme la divinité convoquée ici, tour à tour
Promakhos (" qui combat au premier rang ", reconnaissable par la
grande enjambée qu'elle amorce) Sthenias (la Puissante), Areia
(la Belliqueuse) ou Parthénos (" jeune fille et vierge ").
Tour à tour, Homère les chantait ainsi :
La
déesse aux yeux pers, Athéné, lui répond : -
Je suis venue du ciel pour calmer ta fureur : me veux-tu obéir ? Héré,
m'a dépêchée, qui, en son cur, vous aime et vous protège
également tous deux. Allons ! clos ce débat, et que ta main ne tire
pas l'épée. Contente-toi de mots, et, pour l'humilier, dis-lui ce
qui l'attend. (Iliade, chant I)
Athéné
a l'égide vénérée, l'égide que ne touchent
ni l'âge ni la mort, et dont les cent franges voltigent au vent, les franges
tressées, tout en or, dont chacune vaut cent bufs. L'égide
à la main, partout présente, elle va à travers l'armée
des Achéens, les poussant tous de l'avant ; et, au cur de chacun,
elle fait se lever la force nécessaire pour batailler et guerroyer sans
trêve ; et à tous aussitôt la bataille devient plus douce que
le retour sur les nefs creuses vers les rives de la patrie. (Iliade, chant II)
La
présence virile d'Athéna s'apparente ici, en écho, à
ce que Nicole Loraux (Les Enfants d'Athéna, Maspéro, 1981)
énonce au sujet de l'andreia, le soldat - citoyen : " Porter
le nom d'Athéna : façon tautologique pour un Athénien de
dire sa citoyenneté. "
Regardons
Pavie comme un discours aux morts à
la mode athénienne antique. Le désastre de Pavie, c'est 5 000 morts,
15 à 20 000 prisonniers français rançonnés ou relâchés,
livrés aux aléas des routes et de la faim en cet hiver 1525. "
Une grande partie de la noblesse française, et la plus nationale si l'on
entend par là celle qui aimait le moins l'Italie d'amour romanesque, va
engraisser les prairies lombardes. Ce qui était homme et chargé
de destins, après ce jour-là devient un peu de fumure malodorante.
" conclut Jean Giono (Le Désastre de Pavie : 23 février
1525, Gallimard, 1963). L'arrière garde commandée par le
duc d'Alençon n'est pas intervenue et se replie. Les Espagnols massacrent
sans retenue les groupes isolés, les blessés, les fuyards. Les seigneurs,
entassés dans les maisons de Pavie et alentours, seront eux rançonnés.
Clément Marot, notre doux poète, y fut blessé au bras, dit
la légende (que reprend Abel Grenier dans son édition des uvres
complètes en 1920). Si le père, Jean Marot, était à
Marignan, le fils n'était pas à Pavie selon Roger Parisot en 1996
qui avance que seul le poème Elégie première de 1525
(que l'on considèrera comme un des epitáphioi post-Pavie)
a pu le faire longtemps croire. Jugeons-en sur pièce :
Que
diray plus du combat rigoureux ?
Tu sçais assez que le sort malheureux
Tomba du tout sur nostre nation ;
Ne sçay si c'est par destination,
Mais tant y a que je croy que Fortune
Desiroit fort de nous estre importune.
Là fut percé tout oultre rudement [percé de part en part]
Le bras de cil qui t'ayme loyaument ;
Non pas le bras dont il a de coustume
De manier ou la lance ou la plume : (le bras gauche est blessé ?)
Amour
encor le te garde et reserve,
Et par escripts veult que de loing te serve.
Finalement, avec le Roy mon maistre
Delà les monts prisonnier se veit
estre
Mon triste corps, navré, en grand' souffrance.
Quant est
du cueur, long temps y a qu'en France
Ton prisonnier il est sans mesprison.
Or est le corps sorty hors de prison
Mais
s'il advient que la guerre s'esbranle, Lors conviendra danser d'un autre branle
: Laisser fauldra boys, sources et ruysseaux, Laisser fauldra chasse,
chiens et oyseaux, Laisser fauldra d'Amours les petitz dons, Pour suyvre
aux champs estandars et guydons. [drapeaux] Et lors chascun ses forces reprendra,
Et pour l'amour de s'amye tendra A recouvrer gloire, honneur et butins,
Faisant congnoistre aux Espaignols mutins Que longuement Fortune variable
En un lieu seul ne peult estre amyable
Amour
a faict de mon cueur une bute, [une fin ?] Et guerre m'a navré de haquebute
: [arquebuse] Le coup du bras le montre à veue d'il ; Le
coup du cueur se monstre par son dueil. Ce nonobstant, celuy du bras s'amende
; Celuy du cueur, je te le recommande. |
Une
" oraison funèbre " aux morts du champ de bataille de Pavie qui
permettrait d'expliquer la présence d'Athéna dans cette tapisserie
à coloration politique. Un " discours civique " sans aucun
mot, mais terriblement " bavard " (pour qui veut bien abandonner le
discours traditionnel et frileux des Cinq Sens bridés) pour énoncer
la parole du pays meurtri. Un " discours - spectacle " et une "
louange " esthétique dessinés et tissés dans le même
esprit de " beauté " que ses sept surs plus âgées
de dix ans. Pour dénoncer certes, mais charmer tout autant. Un discours
à la rhétorique triomphante des aèdes antiques : éloquence
métaphorique pour célébrer la gloire des vainqueurs (la Licorne
et le Lion), fustiger le perdant (les animaux entravés) et rappeler le
passé glorieux du royaume sous les traits d'Anne de France. Pavie
représente, par homonymie, le royaume de France par une des ses anciennes
régentes, comme les Athéniens se plaisaient à donner à
leur cité la figure d'Athéna (hors l'oraison funèbre antique
où la cité était sans figure).
Lire
sur le site suivant : l'oraison funèbre prononcée par Périclès,
stratège, pendant l'hiver de l'année -431, en l'honneur des guerriers
morts au combat au cours de la première année de la Guerre du Péloponnèse
qui opposera Athènes à Sparte pendant presque 30 ans. (Dans Thucydide,
Livre II, I, 34-46) " Ayant devant lui des gens émus, sous prétexte
de rendre hommage à leurs disparus, il leur donne des règles de
conduite " (Marie Delcourt-Curvers). Il fait l'éloge d'Athènes,
de ses institutions et des ses héros, montrant que pour lui Athènes
est un exemple à suivre pour la Grèce et même pour l'humanité
tout entière. http://remacle.org/bloodwolf/textes/thucyeloge.htm
|
L'île
commune jusqu'ici consacrée à Mary Tudor, perdant son insularité,
s'apparente ici au téménos, l'enclos sacré que s'aménage
l'Athéna Polias primitive (" la protectrice de la cité ")
sur l'Acropole, la colline sacrée des origines, sous le signe de la pureté,
de la chasteté et du civisme. Coïncidence si, dans le Zodiaque, la
Vierge est entre le Lion et la Balance (dont la corne de la licorne serait ici
le fléau) ?
La Dame est aussi
Pallas, " la vierge libre du joug, la gardienne de notre cité
qui seule y détient visiblement le pouvoir et qui a nom Porte-clefs. "
(Aristophane, Thesmophories) Ce sont les clefs qui délivreraient
les deux singes entravés et leurs comparses carnivores, métaphores
animales de la prison madrilène aux verrous mis.
Athéna
(j'avance ici une hypothèse hardie) signale peut-être aussi l'acceptation
d'Antoine Le Viste de n'avoir pas de fils. Athéna, fille (sans mère)
du père des dieux et des hommes, qui eut le pouvoir de " donner son
unité à ce complexe mythique fondant l'orthodoxie athénienne,
en matière de naissance et de citoyenneté " (Nicole Loraux),
vaut bien tous les fils possibles. Jeanne, la fille d'Antoine, mit au monde Florimond,
comblant ainsi le désir de descendance de son père, comme Athéna
fut à l'origine d'Erichthonios, le roi primordial d'Athènes, qu'elle
éleva. Amour de Zeus pour Athéna, amour d'Antoine Le Viste pour
sa fille Jeanne. Antoine, comme Zeus, fut aussi " mère " quand
il dut élever seul sa fille dès l'âge de dix ans environ.
En acceptant Erichthonios, l'ancêtre autochtone (si l'on excepte Kécrops,
premier roi de l'Attique selon Pseudo-Apollodore, né directement du sol,
autochtone donc au sens le plus concret du mot, monstre anguipède au corps
mi-homme mi-serpent, dont Athéna s'assura le témoignage complice
contre Poséïdon) des Athéniens né de la terre (Gé)
et de la sexualité (du désir sexuel d'Héphaïstos pour
Athéna, vierge inébranlable, dont on connaît la résistance
à la puissance du désir), Athéna, mère de substitution,
instaure l'ordre civique et la lignée royale. Elle se pose aux yeux d'Antoine
comme un exemple de paternité accomplie en dépit des aléas.
Athéna
est sortie armée et casquée du crâne de son père Zeus
délivré de ses douleurs par le tranchant adroit de la hache du dieu
artisan Héphaïstos, en poussant un immense cri de guerre. Cette naissance
" métallurgique " d'une vierge virile peut avoir attiré
la présence de la déesse dans les croquis de Jean Perréal,
sensible aux éléments communs entre le mythe antique et l'alchimie.
Serait alors évoquée une des dernières fonctions de la déesse,
l'Athéna Erganè (" l'industrieuse "), déesse
de l'intelligence appliquée à la matière, qui protège
les artisans d'art et les artistes.
Le
toucher de la corne de la licorne au pouvoir curatif rappelle la fonction de guérisseuse
de l'Athéna Hygieia qui apporte la santé. La Pierre philosophale
a aussi cette vertu aux yeux des alchimistes.
Les
Alchimistes du passé se faisaient appeler fréquemment Chevaliers
de Pallas. http://larocheauxloups.wordpress.com/2009/05/05/promenade-alchimique-dans-paris-avec-richard-khaitzine/

La
Dame est également campée dans l'attitude de Hermès Trismégiste
(trois fois grand, c'est à dire qui a vécu trois vies) de la mosaïque
de la cathédrale de Sienne ; l'un touche les textes du Corpus hermeticum,
l'autre la corne blanche de la licorne et la lance bleue. Hermès Trimégiste
lui-même, le fondateur mythique de l'hermétisme et un des maîtres
à penser des alchimistes médiévaux.
En
tant que protectrice et patronne des artisans et des techniques et combattante
de l'Ignorance, Athéna - Minerve figure, dans toute l'histoire de l'Art,
dans des uvres diverses (recensées par Pierre Georgel et Anne-Marie
Lecoq dans leur livre La Peinture dans la peinture, Adam Biro, 1987) :
de sa première apparition sur un vase attique à figures rouges
du - 5ème siècle où elle couronne un peintre de vases, à
celle plus récente de Charles Meynier (1763-1832), La France, en Minerve,
accueille les Beaux-Arts sous l'égide de la paix et la protection de la
Force de 1919 visible au musée Magnin de Dijon, en passant par Federico
Zuccaro (1542-1609), Nicolas Loir (1624-1670) Sebastiano Ricci (1659-1734), Joseph
Sauvage (1744-1818).
http://www.insecula.com/oeuvre/O0001810.html
http://www.insecula.com/oeuvre/O0017144.html
http://www.insecula.com/oeuvre/O0017329.html
Si
Athéna représente la " connaissance abstraite et la vie intellectuelle
spéculative ", Mercure représente la " connaissance appliquée
et la raison pratique. " (p.42) Mercure l'industrieux, voyageur et commerçant
habile de ses mains et libre de ses mouvements, dispute à Athéna
la place de dieu tutélaire des beaux-arts. Ainsi dans les images des 'enfants
de Mercure' peintes ou gravées dans la seconde moitié du 15ème
siècle en Italie, en Allemagne et en France où le peintre côtoie
le savant, le musicien, le lettré, l'armurier, l'orfèvre, le facteur
d'orgue ou le fabricant d'instruments de précision.
L'apparition
d'Athéna permet à l'artiste d'exposer son interprétation
et celle de son commanditaire des événements dont ils sont les témoins
et les acteurs en ces années 1520-1525 et suivantes. La mythologie antique
est ici au service d'un double message, chrétien catholique (lutter contre
l'hérésie et ceux qui l'acceptent) et politique (juger les coupables
de la défaite et gouverner autrement) pour encourager les forces dites
"saines" dans leur combat contre les forces 'néfastes'. Il me
semble que par la présence de la déesse, Antoine Le Viste expose
de manière fortement expressive son affirmation de l'aptitude de sa 'classe'
à gouverner et à rassembler les forces 'nationales' dans un nouvel
'Âge
d'or'. Dans ce rappel du mythe antiquisant de la Renaissance des cours italiennes
de la fin du 15ème siècle (à partir des années 1470)
dans le cadre d'une culture humaniste, sont affirmés à mes yeux
le prestige, le rôle et le pouvoir économique, civique, judiciaire,
politique et religieux du 'Peuple Gras', ce 'quatrième état', la
bourgeoisie anoblie.
Mais n'y aurait-il
pas contradiction (en tout cas aporie) à nommer défenseure de la
religion catholique une déesse païenne antique, Athéna ? Ou
bien, une forme de polythéisme est-elle à reconnaître dans
la multitude des saintes et des saints groupés autour de la Vierge et de
son Fils et dans la multitude égale des ordres religieux et des confréries
de tous ordres ? La Prisca theologia et le christianisme que veulent réconcilier
la theologia poetica et les acta religionis des néoplatoniciens.
Regardons
Athéna dans cette tapisserie Pavie comme le substitut laïc
d'une sainte (ou d'un saint) qu'un artiste médiéval n'aurait pas
manqué d'installer ici. Selon Claude-Gilbert Dubois (Mots et règles,
jeux et délires - Etudes sur l'imaginaire verbal au 16ème siècle,
Paradigme, Caen, 1992, p.189), à la Renaissance, " le nouvel objectif
de la science n'est plus la gnose ou connaissance de Dieu, mais une exploration
qui se veut exhaustive et raisonné du corps maternel disséminé
dans les corps matériels
Dans une phase transitionnelle, les saints
sont progressivement remplacés par des dieux, repris de l'Antiquité,
qui sont autant de métonymies pour désigner 'l'industrie' ou force
de production de l'humanité : Jupiter, le maître de l'énergie,
Hermès, esprit commerçant, Thot-Hermès et Orphée,
les modèles de la nouvelle intelligentsia, Vulcain le forgeron, Asklépios
le médecin. C'est là la première étape d'une laïcisation
qui se poursuivra par la suite sans l'aide des noms antiques. " Mais certains
attributs resteront comme en témoignent les représentations des
diverses 'Républiques' ci-dessous.
Reprendre
en 1525 le thème et la structure de La Dame initiale pour présenter
les malheurs du royaume catholique France et en dénoncer le/s responsable/s,
placer au centre de cette huitième tapisserie une femme, n'est-ce pas,
pour le peintre, " refuser le nom de père au principe masculin dévastateur
et tyrannique ". Je reprends pour Pavie cette remarque que Claude-Gilbert
Dubois consacre, (pp.348sqq) aux Tragiques d'Agrippa d'Aubigné.
Une autre uvre était possible : un tableau, un pamphlet, une tapisserie
d'un autre 'style'. Athéna, la vierge farouche, qui refuse l'accouplement
et l'amour ! Pour présenter un homme ! La tante de l'homme en question.
Bizarre, pour ne pas dire étrange ! Pour Agrippa d'Aubigné, cet
autre 'nom-du-père', c'est Dieu. Dans Pavie de La Dame, point
de religion, point de déité chrétienne. Uniquement une femme.
Avec
la représentation d'Athéna-Minerve, il faut évoquer la 'vertu
des images' : l'image de la déesse ou du dieu associée à
son nom, à ses attributs et à ses exploits surnaturels agiraient
sur les forces de l'univers. L'image est 'vue' comme une force venue d'un passé
glorieux, elle donne sa force, ses forces, à celui qui la convoque. Re-naissance
donc, par la présence d'une divinité considérée comme
'revenante' de la mort, de l'au-delà, du passé. La Dame retrouve
en cette tardive tapisserie de 1525 quelques signes de divinité que les
sept premières pièces ne possèdent pas à mes yeux.
Ressuscitée des temps antiques, elle saura ressusciter ce qui est en voie
de périr. Ainsi du royaume en perdition.
Si
la présence d'Athéna au centre de cette tapisserie Pavie
veut évoquer à mes yeux tout d'abord le Connétable de Bourbon
via Anne de France, elle peut aussi être l'image de l'artiste qui affrme
sa célébrité, son talent et son pouvoir.
Cette
présence d'Athéna (dont le visage résolu est à hauteur
du faisan et des singes prisonniers) rappelle la lutte des Etats européens
contre l'avancée des Turcs et les promesses d'une nouvelle croisade ; elle
anticipe un tableau disparu de Bartholomeus Spranger (1546-1625), le peintre de
Rodolphe II à Prague que reproduit certainement une gravure de 1597 de
Johannes et Harman Muller (Allégorie des Arts, Paris, BN, estampes)
qui convoque Jupiter, Minerve, Mercure, la Renommée, la Peinture, la Sculpture,
l'Architecture, les rois et princes des Etats d'Occident et des soldats turcs.
Déjà,
en 1494, Marsile Ficin, dans une lettre au roi de France Charles VIII, après
la louange, lui rappelait qu'il ferait mieux de faire la guerre, non contre ses
alliés, mais contre les Turcs dont il redoutait l'invasion. Comme Dante
dans La Monarchie (livre condamné et brûlé en 1329),
Ficin approuvait l'impératif d'avoir en Europe un seul pouvoir (l'empereur
ou gouverneur du monde), capable en agglomérant les résistances,
de s'opposer aux menaces extérieures. Platon avait déjà
évoqué dans Le Politicus ce gouvernement du monde entier
: Zeus, seul maître des cieux, voulait sur Terre une royauté à
l'image de celle où il trônait. Il avait prescrit l'aide des déesses
et des dieux, surtout à Pallas-Athéna (la sagesse) et à Hermès
(l'Intelligence). La tapisserie Pavie rappelle subtilement ce thème
platonicien via Marsile Ficin.
Dans
son livre La Révolution culturelle dans la France des Humanistes
(Droz, 1997), Gilbert Gadoffre
étudie au chapitre XI (pp.299-318) 'les métamorphoses de la personne
France'. C'est un texte que j'ai découvert après avoir écrit
ce qui précède au sujet d'Anne de France et d'Athéna-Minerve.
L'une des premières apparitions d'une allégorie de la France naît
sous la plume de Christine de Pisan (1364-v.1430) qui évoque en 1405 dans
un texte allégorique en prose, le Livre de ladvision Cristine,
( http://www.ethesis.net/pizan/pizan.htm
) « une dame couronnée ». La première des
trois parties de l'uvre est consacrée à la crise du début
du XVe siècle. Christine rencontre dans son rêve l'allégorie
Libera, dame couronnée (elle représente la France), toujours
belle et jeune malgré ses mille ans d'âge, mère désolée
qui se plaint de la situation actuelle. Elle dit que les dames Raison, Chevalerie
et Justice (ses dames d´honneur) sont en prison, tandis que Fraude,
Luxure et Avarice sont au pouvoir. Situation malheureuse, en contraste
avec son passé glorieux. Dame Libera se plaint de ses enfants qui
font la guerre par péché de la convoitise : « Quelle
plus grant perplexité peut venir en cuer de mere que veoir yre et contens
naistre et continuer jusques au point darmes de guerre prendre et saisir
par assemblees entre ses propres enfans legittimes et de loyaulx peres, et a tant
monter leur felonnie quilz naient regart a la desolacion de leur povre
mere qui comme piteuse de sa porteure se fiche entre deux pour departir leurs
batailles ? » Une autre apparition de la 'Dame couronnée'
naît aussi d'un rêve, celui d'Alain Chartier (v.1385-1449) narré
vers 1422 dans Le Quadrilogue invectif, un entretien en prose, sur un ton
véhément, de quatre personnages (La France et les trois ordres,
peuple, noblesse, clergé), sur la responsabilité des malheurs du
royaume. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Quadrilogue_invectif
) Chartier la peint à la fois grande dame et mère éplorée,
cheveux blonds épars, couronne mal ajustée sur la tête, en
larmes, le manteau en piteux état, froissé et déchiré.
« Querez, querez, Français, les exquises saveurs des viandes,
les longs repas empruntez de la nuit sur le jour
Endormez-vous comme pourceaulx
en lordure et viltez des orribles péchez. Plus vous demourerez, plus
approchera le jour de votre extermination. »
Gilbert
Gadoffre écrit : « La France, avec la folie de Charles
VI, fait l'expérience d'une vacance de la monarchie. Le civisme des Français
a mal résisté à l'épreuve ... « La
guerre de Cent Ans a été pour beaucoup dans la métamorphose
d'une personne morale en un être de chair et d'âme, mais la conversion
s'est faite le long de lignes de force creusées de longue date par les
juristes et les théologiens. La personne France a hérité
des appellations traditionnelles de l'Eglise, sponsa et mater, épouse
du Christ et mère du peuple chrétien, corps mystique dont Jésus
est à la tête ... « L'image de la Dame couronnée,
épouse royale et mère douloureuse de Français querelleurs,
indignes d'une filiation aussi haute, suit de près les représentations
de l'Eglise sous les traits d'une reine triomphante, sur les porches des cathédrales,
et de la Mater dolorosa des sculpteurs et des peintres ... « Malgré
sa robe fleurdelisée, et ses grandes manières, la Dame couronnée
conserve quelques traits de la Magna Mater et des déesses-mères
des mythologies archaïques : féminité généreuse,
fertilité, décisions sans appel, ambivalence de la femme capable
d'être tour à tour amante et mère terrible ... « Dans
la mesure où l'histoire de la France se confond avec le devenir de sa mythologie,
il est permis de voir dans la Renaissance le moment où la divinité
chtonienne s'efface pour quelques années devant une apparition radieuse
qui sera plus que la Dame couronnée du Moyen Âge
: une déesse de l'Olympe. »
Dès
le sacre de François 1er, c'est toute la famille des Valois-Angoulême
qui se trouve déifiée sous l'apparence de Pallas Athéna-Minerve.
Pour Symphorien Champier, Louise de Savoie est nommée « autre
Pallas et très saige Minerve ». « Filz de
Pallas, tant sacrée déesse / D'armes et sens » clame-t-il
à propos du nouveau roi. D'autres poètes identifieront Marguerite
de Savoie, fille et sur de la triade, à la déesse. Puis ce
sera la France elle-même qui sera identifiée à la déesse
gréco-latine, à la fois vierge guerrière et sagesse des nations,
ce que Ronsard résume ainsi : « Car pour bien faire il fault
qu'un Roy se serve / De l'une et l'autre excellente Minerve ».
« L'image
de la république minervienne est déjà en place. Tous les
attributs sont là et cette synthèse imagée qui survivra à
tous les régimes, monarchies et républiques » note Gilbert
Gadoffre.
Après
la cuisante défaite de Pavie, notre peintre courageusement détruira
(à mon avis) cette identification 'angoumoisine' en exaltant l'autre branche
des Valois en la personne d'Anne de France. Mais rien à ma vue de religieux
dans la tapisserie Pavie où Anne de France campe une France fière
et farouche, guerrière qui a vaincu l'ennemi et propose la réconciliation.
Jamais
Pallas ne souffrira d'être vaincue. Euripide, Les Héraclides,
v. 352
Sulévia
ou Soulivia est une variante de
Sulis, la déesse " celte " de Solutré, homologuée
à Minerve/Athéna. En latin médiéval, Solutré
se nommait Sulistriacus, c'est-à-dire, le " domaine de Sulis ".
" Suil " signifie
dans la langue celte des bretons insulaires aussi bien " il "
que " soleil ", si bien que Sulis comme les Suleviae peuvent êtres
considérées telles des divinités solaires. Cela implique
une parenté étymologique avec la déesse germanique Sol. Jean
Markale a écrit : " À Bath, en Angleterre, sanctuaire des eaux
guérisseuses, la divinité qu'on honorait était une déesse
Sul, dont le nom n'a nul besoin d'être traduit. La déesse était
donc également Vénus, c'est-à-dire la beauté, la blancheur,
celle qui est née de l'écume de la mer. " (La Grande Déesse.
Mythes et sanctuaires, p. 115).
Minerve/Athéna)
était également une déesse de la guerre et de la sagesse.
Comme le nom de Sulis l'indique, elle était une divinité solaire,
mais elle incarnait le Soleil Noir (saturnien) de l'Autre Monde. On peut la reconnaître
sous plusieurs identités avec son auréole rayonnante qui l'authentifie
comme la Liberté, Vénus et la Vierge : - la Vierge de Florence
ou de Rome - Thémis, la déesse de la Justice - la Liberté
à la torche ou République - la Liberté de Bartholdi à
Paris et New York

La
Dame de la tapisserie Pavie a sa place dans cette lignée : avec
tous les attributs d'Athéna, elle tient l'épée (la corne)
dans la main gauche et la torche (le drapeau aux armes d'Antoine Le Viste), à
la fois guerrière et pacifique, porteuse de lumière.
|

Pallas
- vers 1485 - collection privée tapisserie d'après un carton
de Sandro Botticelli Présentée
au grand public seulement en 1935, à l'occasion de l'importante exposition
organisée à Paris sur l'art italien de Cimabue à Tiepolo,
cette tapisserie fut publiée pour la première fois en 1889, date
à laquelle elle figura en frontispice de l'Histoire de l'art pendant
la Renaissance de Müntz. Généralement considérée
comme une réalisation nordique, très probablement française,
exécutée à la fin du 15è s. d'après un carton
de Sandro Botticelli et de son atelier, elle fit l'objet d'études détaillées
à la fin du 19è et au début du 20è s. C'est à
Müntz (1889. I. p. 718) que l'on doit d'avoir redécouvert l'uvre
dans la collection des vicomtes de Baudreuil, tandis que l'identification du commanditaire
est due aux recherches d'archives de Des Forts (1907. pp. 555-560). En effet,
ce spécialiste a attribué le blason figurant sur la tapisserie à
Guy de Baudreuil, abbé de Saint-Martin-aux-Bois de juillet 1491
à 1530. |

En
armure et coiffée d'un heaume, Pallas porte une lance et un bouclier. Une
chouette vole à ses côtés. Une des 24 enluminures flamandes
du Maître d'Antoine Rollin, illustrant le Livre des échecs
amoureux, composé en prose par Évrart de Conty vers 1400.
http://classes.bnf.fr/echecs/feuille/amour/index.htm


Mantegna
- Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu - 1502 - musée du
Louvre (merci à Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, tome
2, pp.36-37)

John Tenniel (1820-1914), on behalf of England,
expresses his sorrow over Lincoln's assassination…
Ecrivons " Athéna " à l'envers pour obtenir " Anétha " et pensons aussitôt à " Annette " età" Anne ".
Coïncidence
? Peut-être
Michèle
Kraemer, désireuse de reconstituer ce qu'elle pense avoir été
le christianisme polythéiste qui doit avoir précédé
le monothéisme, écrit sur son blog
http://isabadela.over-blog.com/
"
Quand on compare le travail de Françoise Gange [Les Dieux menteurs,
La Renaissance du livre, 2002 et La Guerre des dieux contre la mère
universelle, éd. Alphée, 2006] et celui du spécialiste
de Sumer, Samuel Noah Kramer qui a écrit L'histoire commence à
Sumer, force est de constater qu'il n'a pas eu la finesse d'analyse, ni surtout
le sens critique de celle-ci.
Car
il est bien évident que l'histoire n'a pas commencé à Sumer,
loin s'en faut. Ce qui a démarré à Sumer, c'est la révolution
patriarcale. Il est vrai que le statut privilégié de l'homme, favorisé
par la culture patriarcale occidentale, aiguise rarement son intelligence critique.
Il a tendance à somnoler sur ses petits acquis. Mais cette paresse d'esprit,
bien humaine, présente beaucoup d'inconvénients dans la jungle des
loups qui nous entoure.
En
dépit de son conformisme patriarcal, Kramer a relevé dans Le
mariage Sacré qu'Inanna était
"
la " Souveraine
" ou la " Reine ", ou la " Dame du Palais " ; la "
hiérodule de An " ou même la " Hiérodule "
tout court ; la " Jeune femme " ou la " Jouvencelle " et,
très souvent, la " Sainte Inanna " [
]. " (p. 43)
Elle
ressemblait par conséquent à Athéna qui était aussi
la Dame du Palais d'époque mycénienne, donc ultérieure. Ultérieure,
vraiment ? D'abord Athéna se lit à l'envers Anétha
ou Anatha (Anette). Elle correspond donc à la déesse cananéenne
Anat ou Anath(a) qui n'est autre que cette même Sainte Anne ou Inanna. Toutes
ont été revues et corrigées sous l'angle astral et céleste.
Avec le radical *ster , Inanna est devenue Ishtar ; et Anna, Saturna, Stirona
ou Satanna. [
]
Comme
Sulis a été comparée à Minerve qui est aussi Athéna,
cela l'assimile à Sainte Anne et à Inanna. Sul-is est la
même déesse qu'Ishtar ou Isis, n'en doutons pas. Elle
a été la " Nounou " ou la Mère divine de Solutré,
longtemps avant la venue de François Mitterrand et elle en était
la " Souveraine " et la " Reine ". Ainsi Hebat en Anatolie.
Le titre d'Inanna en fait foi. "
[
]
À vrai dire pas grand-chose n'a subsisté sur les antécédents
de Solutré. Mais
" En latin médiéval,
Solutré se nommait Sulistriacus, c'est-à-dire, le "
domaine de Sulis ". Sulis
a été assimilée à la déesse Minerve = Athéna.
C'était une déesse guérisseuse des sources, lieux de célébrations
religieuses et de pèlerinages. Des Suleviae sont aussi mentionnées
surtout dans la Gaule de l'est, mais aussi en Grande-Bretagne, dans les deux provinces
de basse et de haute Germanie, dans le royaume du Norique et aussi à Rome
: http://de.wikipedia.org/wiki/Suleviae.
Elles sont sans doute
assimilables aux Matres ou Matrones, les Grandes Mères. Leurs noms signifient
" conductrices " en Gaulois ce qui en fait des divinités tutélaires
et protectrices. Suil signifie dans la langue celte des bretons insulaires aussi
bien oeil que soleil, si bien que Sulis comme les Suleviae peuvent êtres
considérées telles des divinités solaires. Cela implique
une parenté étymologique avec la déesse germanique Sol.
J.
Markale a écrit : " À Bath, en Angleterre, sanctuaire des eaux
guérisseuses, la divinité qu'on honorait était une déesse
Sul, dont le nom n'a nul besoin d'être traduit. La déesse était
donc également Vénus, c'est-à-dire la beauté, la blancheur,
celle qui est née de l'écume de la mer [
]. C'est la Vierge
des flots, la Mère universelle parce qu'elle inspire le désir qui
conduit à la copulation, donc à la procréation. " (La
Grande Déesse. Mythes et sanctuaires, p. 115). Sulis fut aussi
la maîtresse de la montagne de Solutré. De manière semblable
la déesse Hebat, devenue hittite après la conquête, était
une déesse-montagne solaire et la maîtresse de cette montagne avant
que le Dieu guerrier hittite de la tempête (tempête ou orage = guerre),
appelé Teshub (Teub), n'usurpe son rôle.
|
Walter
F. OTTO, Les Dieux de la Grèce, Payot, 1981 (Chapitre consacré
à Athéna : pp.60-78)
http://lisa.revues.org/index3109.html
http://classes.bnf.fr/echecs/feuille/amour/index.htm
http://goodcomics.comicbookresources.com/2008/10/17/stars-of-political-cartooning-john-tenniel/
Michèle
Krämer, historienne récentiste, relève qu'Athéna/Minerve,
présente à Rome dans la basilique de la Minerve (Santa
Maria supra Minerva) accompagnée de sa chouette, a aussi (encore et
toujours) ses entrées au Vatican même, dans la basilique Saint Pierre,
en compagnie de nombreuses divinités païennes. À gauche du
mausolée du pape Clément XIII, (1693 - 1769), Antonio Canova a sculpté
Minerve avec deux lions, ses symboles guerriers. Présence paradoxale dans
ce haut lieu le plus prestigieux du catholicisme patriarcal ? Michèle Krämer
l'explique ainsi : " Force est de s'interroger sur la nécessité
de ces représentations d'autant qu'elle furent décrétées
" diaboliques " lors des farouches chasses aux sorcières orchestrées
par l'Inquisition les diatribes de saint Paul contre Artémis / Diane
d'Éphèse vont aussi dans ce sens. Or puisqu'elles figurent dans
le temple du patriarcat qu'est-ce que cela signifie-t-il d'autre, sinon que le
dit temple n'était ni monothéiste ni patriarcal à l'origine
? " http://www.artemis-artetphotos.com/art-contemporain/42-le-neoclassicisme
Michèle
Krämer retrouve Minerve vêtue en guerrière, casquée et
bouclier au poing dans un autre endroit de la basilique Saint-Pierre. Elle y apparaît
encore sur des tombeaux de papes : celui de Léon XI (1535 - 1605) avec
Minerve, à gauche, un marbre d'Alessandro Algardi dit l'Algarde ; et celui
de Grégoire XIII (1502- 1585) avec Minerve, à droite.
http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/65/Algardi_Leo_XI.jpg
http://www.insecula.com/oeuvre/O0007353.html
"
La chapelle Ludovisi dans l'église saint-Ignace-de-Loyola à Rome
abrite la statue de "Fortitude" par Camillo Rusconi (1685 - 1686). Avec
son lion, "Fortitude", dite aussi "la Force", n'est autre
que Minerve, la guerrière bien reconnaissable à son casque empanaché.
http://en.wahooart.com/@@/8Y3GWC%20-%20Camillo%20Rusconi%20-%20Fortitude%20(2)
Elle
est identique à Cybèle (si belle = Vénus !), une déesse
soi-disant phrygienne - en réalité européenne. "Forte",
"Fortitude" ou "Force" sont autant de mots qui désignent
aussi Wilgefortis, la Vierge guerrière crucifiée identique à
Minerve. "
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Wilgefortis-wambierzyce.jpg
http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Saint_Wilgefortis
Michèle
Krämer ajoute : " Déesse de la guerre et de la mort, Minerve
/ Athéna se dresse naturellement dans de très nombreux cimetières
ou sur des monuments aux morts. La voici au cimetière monumental de Staglieno,
à Gênes, en Italie, reconnaissable à son auréole rayonnante,
similaire à celle de la Liberté. Sa croix la désigne telle
une martyre crucifiée. Les faussaires ont transformé la Minerve
du cimetière de Gênes en "allégorie de la foi" ou
"de la religion". C'est hypocrite, car le dôme du panthéon
derrière elle prouve par son ornementation en forme de soleil rayonnant,
identique à son auréole en forme de roue solaire, qu'elle était
la divinité funéraire primordiale des Romain-e-s longtemps avant
Saturne : Remarquez les innombrables motifs floraux en forme de roue. "
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cimeti%C3%A8re_monumental_de_Staglieno
Athéna
/ Minerve côtoie au Vatican les divinités des grandes légendes
des mythes d'Isis et Osiris, d'Io et Argus, dans une référence constante
au taureau, élément-clé de l'héraldique familiale
des Borgia. Alexandre VI se veut le descendant du dieu Osiris parce que le taureau
Apis est la manifestation du dieu-soleil. Dans les années 1492-1493, Alexandre
VI demande aux peintres Pier Matteo d'Amelia (Piermatteo Lauro de' Manfredi da
Amelia), Antonio del Massaro da Viterbo aussi appelé Il Pastura et Pinturicchio
(Bernardino di Betto di Biagio) de décorer, dans une exubérance
décorative et polychrome, ses appartements au Vatican. Il s'agit de six
salles : la Salle des Sibylles (figures mythologiques très appréciées
par Alexandre VI), la Salle du Credo, la Salle des Arts, la Salle des Saints,
la Salle des Mystères de la Foi et la Salle des Papes. Même si l'interprétation
théologique traditionnelle a toute sa place devant ces peintures, il est
évident qu'Alexandre VI avait un grand intérêt pour la mythologie
antique égyptienne et grecque.
|
Le
Vu du Banquet du Faisan

Proclamer
des vux sur un oiseau (paon, héron, faisan) était un rituel
familier à la noblesse : 'c'est la coustume et a esté anciennement,
que aux grandes festes et nobles assamblées on presente aux princes et
nobles hommes le paon ou quelque autre oyseau noble pour faire veux utiles et
vaillabes.' (in Marie-Thérèse Caron, Les Vux du
faisan, noblesse en fête, esprit de croisade, Brepols, 2003, p. 58).
Comme le paon dans d'autres civilisations, le faisan était un symbole des
vertus chevaleresques. Son nom (du
grec phasianos) viendrait de celui du fleuve Phase (le Rion) en Colchide
(la Georgie actuelle) où la légende situe la geste des Argonautes
de Jason pour la prise de la Toison d'Or avec l'aide magique de Médée.
|
Dans
la tapisserie "La Fontaine" de La Chasse à la Licorne
des Cloisters, cette séquence pourrait illustrer le Vu du faisan
formulé par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et sa cour lors du Banquet
du faisan, tenu à Lille le 17 février 1454 d'aller délivrer
Constantinople prise par les Turcs l'année précédente. Le
serment fait la main levée, la croisade évoquée par la lance
dressée. |
En
choisissant Jason comme emblème de l'ordre
de la Toison d'Or qu'il crée à Bruges le 7 Janvier
1430 à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, sa troisième
épouse, Philippe le Bon (tout en concurrençant l'ordre de
la Jarretière créé en 1346 ou 1347 par le roi d'Angleterre
Edouard III) veut, en s'appropriant l'aura du héros mythologique, s'assurer
son prestige et la fidélité jurée de ses sujets en tournant
cet ordre vers l'Orient et la légende de Troie dont la Toison d'Or était
alors un des symboles. Le mythe de la Toison d'Or effectuera le passage entre
Moyen Âge
et Renaissance. Le royaume de Portugal vivra ce mythe pleinement en lançant
sur les mers et océans des navigateurs aux ambitions, certes économiques,
mais avant tout inconscients.
site
consacré à l'Ordre de la Toison d'Or : http://annebhd.free.fr/heraldique/toisondor.htm
A
la fin du Moyen Âge,
Jason (que depuis Ovide on considérait comme parjure et déloyal
vis-à-vis de Médée) entre en 'odeur de sainteté' par
détournement du mythe : Jason dompte les forces du mal, s'empare de la
toison ainsi que Jésus se serait incarné pour donner sa vie pour
les humains. La légende mythologique se gauchit sous la force de la morale
chrétienne. Jason endosse la tunique chrétienne ; le pays de Colchos
où paît le bélier à la fabuleuse toison devient Jérusalem
et la Terre Sainte ; le désir des Argonautes s'identifie à la foi
chrétienne ; et la Toison objet de la quête se transmue en âme
pure comme l'or fin. Même la magicienne et criminelle Médée
devient le symbole de la foi chrétienne : ses philtres et ses incantations
se meuvent en croix christique, charité et aumône. Il semble
que le personnage de Gédéon (dit Jeroubbaal, juge d'Israël,
vainqueur des Madianites : Juges, VI-VIII) a doublé à la
création de l'ordre celui de Jason. A Jason le rappel de la guerre de Troie
et la conquête de la Toison ; à Gédéon, à travers
les deux miracles des toisons de mouton tendues au sol, l'écho de la force
morale et biblique dans la lutte contre les ennemis de la foi quels qu'ils soient.
Si
certains, par l'observation de son symbolisme vestimentaire et ritualique, ont
pu rapporter la création de l'Ordre de la Toison d'Or à un souci
de la part de Philippe III le Bon de créer un ordre initiatique à
l'hermétisme et à l'alchimie, son évocation revêt,
selon moi, une autre signification dans cette tapisserie post-Pavie.
Juste
avant la Fête de la Licorne à Cambrai, le Banquet du Vu
du Faisan, commencé par des fêtes populaires et des joutes, connaît
son apothéose lors du banquet offert par Philippe le Bon à ses nobles.
Au milieu du repas, entre divers entremets : jeux et représentations, Philippe
le Bon prononce un vu sur un faisan qu'on lui présente sur un plat
: " libérer la Terre Sainte du joug des Turcs ", vu qu'il
demandera que ses vassaux prononcent aussi, oralement à sa suite et par
écrit pour les jours suivants.
Je
voue tout premièrement à Dieu mon createur et à la très
glorieuse Vierge, sa mère et en apres aux dames et au faisant, que se le
plesir du très chrestien et très victorieux prince monseigneur le
Roy est de prendre la croisie et exposer son corps pour la deffense de la foy
chrestienne et resister à la damnable emprinse du Grant Turc et des infidèles
et se lors je n'ay leale ensoine de mon corps, je le serviray en ma personne et
de ma puissance, oudit saint voyaige le mieulx que Dieul me donnera la grace
Les appels à la croisade ont été répétés.
La " prise de croix " fut encouragée par Jean Germain en Mai
1451 au chapitre de la Toison d'Or, lors du Banquet du Faisan, par la bulle du
pape Eugène IV le 30 Septembre 1453 après la chute de Constantinople,
par la bulle de Calixte III en 1455 qui fixait le départ le 1er Mars 1456,
par Pie II qui constitue une ligue le 13 Septembre 1463 contre les Turcs. Les
événements de 1481 à 1495 liés au prince Djem (1459-1495,
fils cadet de Mehmed II et frère de Bajazet II), en sera un épisode
qui alimenta un temps la légende de La Dame.
La
lutte contre les Turcs était un acte de piété mais aussi
un élément de la politique dynastique pour le duc de Bourgogne en
1454. Elle est aussi la preuve de la survivance de l'esprit de chevalerie médiévale
: cérémonial à la fois religieux et profane qui convoque
pour le vu et le Christ et la Dame, la quête du merveilleux (la Toison
d'Or) et l'amour. Dans La Dame, les turbans et la tente sont des marques
iconographiques de cet Orient mythique et mystique, lointain mais si présent
en Occident dans ses mythes et dans l'art.
Le
14 Mars 1494, alors que l'on pensait (à tort) que Bajazet venait de mourir
et que la voie était quasiment libre vers Jérusalem, Charles
VIII qui se trouvait avec ses armées en Italie, fait part au
pape de son désir de plus en plus grand chaque jour " d'aller faire
la guerre au Turc et de racheter les pauvres chrétiens qui sont aux mains
de celui-ci ". Il lui confie : " Dieu seul pourrait m'en détourner
" et demande qu'on lui ménage une entrevue avec le Grand Maître
de Rhodes, " lequel connaît les méthodes de combat des Turcs
".
Louis XII
caressa à son tour ce projet de croisade, peut-être conseillé
par la très chrétienne Anne de Bretagne. Aux fêtes qu'elle
donne le 10 août 1501 pour les fiançailles de leur fille Claude (qui
vient de naître) avec le futur Charles Quint, " on représente
une " mômerie " d'actualité : cinq couples en costumes
de divers pays d'Europe viennent danser l'un après l'autre une danse de
leur nation ; ils sont troublés par un archer turc qui essaie d'inviter
chaque jeune fille tour à tour ; repoussé avec mépris par
chacune d'elles, l'Infidèle, " mécontent des susdites alyences
que contre lui voyait toutes bendées ", jette son arc au sol avec
colère et s'enfuit.
L'allusion
devait être transparente pour les assistants. Tous les Etats d'Europe ne
venaient-ils pas de promettre enfin de s'associer contre les Turcs selon l'ancien
plan du cardinal Péraud ? Six jours plus tard, le 16 août, l'escadre
française quittait Naples et faisait voile pour " aller à son
voyage de Turquie "
Mais cette croisade ne vit pas le jour. (Yvonne
Labande-Mailfert, p. 467)
|
La
reconquête des Lieux Saints répond à diverses motivations
: retrouver la maîtrise des territoires où est née la foi
chrétienne, s'opposer à la progression continue des Turcs Ottomans
dans le sud-est de l'Europe et rétablir l'union entre les souverains européens
dans une paix universelle : le grand rêve d'Orient et la guerre défensive
dans " l'union européenne ", l'Orbis Europeus Christianus
cher à Charles Quint quand il revivifie l'ordre de la Toison d'Or.
L'Est a toujours fait lever les yeux de la dynastie dont Charles Quint est un
des rejetons : le jeune Philippe, futur 'le Bon', habillé en
Turc à Hesdin quand son père Jean de Nevers, fils de Philippe le
Hardi, était captif de Bajazet après la défaite de Nicopolis
Charles Quint pour qui, dès 1546, Vermeyen conçoit à
Bruxelles la tenture de La Conquête de Tunis où l'empereur
est représenté en prince de la Toison d'Or. Ne s'agit-il pas d'opposer
à l'alliance et aux relations diplomatiques, économiques et culturelles
franco-turques du Lys de François 1er et du Croissant de Soliman le Magnifique
un exemple qui exalte les projets bourguignons de croisade ? Dans sa lutte contre
les Ottomans à partir de l'Autriche et de l'Espagne pour défendre
avant tout les territoires des Habsbourg, Charles Quint réveille la mission
initiale de l'ordre de la Toison d'Or.
Comme
le note Marie-Thérèse Caron (pp.102-103) : "le véritable
héritier de Philippe le Bon est peut-être son descendant, l'empereur
Charles Quint. L'idée de croisade est restée vivante au début
du 16ème siècle dans l'esprit de certains gouvernants. En 1517,
Léon X appelait encore à la croisade ... Sans doute Charles était-il
empereur et comme tel, appelé à défendre et à protéger
la chrétienté. Sans doute avait-il aussi l'autorité qu'il
fallait pour le faire. Dans sa volonté de croisade il accomplissait ce
devoir, et sa 'vocation bourguignonne, sans cesse exaltée et jamais assouvie'.
Elle est, à tout moment, rappelée dans le serment de la Toison d'or
dont il était le souverain. Cependant l'empereur lui-même et son
frère Ferdinand ont eu conscience à la fois des problèmes
d'argent hérités de Maximilien et de la désunion du Saint-Empire,
encore aggravée par la Réforme. Les difficultés se retrouvent,
toujours très comparables à celles qui existaient déjà
au milieu du 15ème siècle."
Ce
Vu du Faisan relié au vu de croisade a eu une diffusion
importante par la littérature (romans courtois, poèmes, pièces
de théâtre, chroniques d'Olivier de la Marche, Michaut Taillevent,
Guillaume Fillastre, Mathieu d'Escouchy, Georges Chastellain, Jean de Wavrin,
Jean Molinet), les cortèges et les représentations théâtrales
proposées par les 'Chambres de Rhétorique' lors des fêtes
ou des entrées princières. Sans oublier les tapisseries inspirées
par cette littérature. Notre peintre connaissait le récit de ce
Banquet de Lille : La Bulle de croisade de 1463 du pape Pie II et L'Epître
à la maison de Bourgogne d'un anonyme de 1463/64 qui y furent adjoints
en latin ont été traduites en français pour une divulgation
la plus large possible.
Il n'est
pas surprenant qu'en 1525, notre peintre, par la simple apparition d'un faisan
(qui fait front à la perdrix) évoque, pour tout contemporain "
lettré ", ce monde empreint de chevalerie, de croisade et de monarchie
universelle. Comme le souligne Antoinette Huon (Les Fêtes de la Renaissance,
1973), François 1er et après lui son fils Henri II reprendront en
écho le thème de la Toison d'Or lors de leurs entrées dans
les villes de Rouen, Lyon et Paris (par exemple, François 1er y est Thyphis,
le premier conducteur des Argonautes) où s'expriment la polémique
entre les Valois et les Habsbourg et l'aspiration à une monarchie universelle.
Cette
présence d'Athéna (dont le visage résolu est à hauteur
du faisan et des singes prisonniers) rappelle la lutte des Etats européens
contre l'avancée des Turcs et les promesses d'une nouvelle croisade ; elle
anticipe un tableau disparu de Bartholomeus Spranger (1546-1625), le peintre de
Rodolphe II à Prague que reproduit certainement une gravure de 1597 de
Johannes et Harman Muller (Allégorie des Arts, Paris, BN, estampes)
qui convoque Jupiter, Minerve, Mercure, la Renommée, la Peinture, la Sculpture,
l'Architecture, les rois et princes des Etats d'Occident et des soldats turcs.
Regardons
le Dame de Pavie comme la concrétion des 12 vertus, théologales
et nobiliaires, (Foi, Charité, Justice, Raison, Prudence, Tempérance,
Force, Vérité, Largesse, Diligence, Espérance, Vaillance)
qu'au Banquet de Lille 12 chevaliers accompagnaient à la suite de Grâce
Dieu, 'la divine aumonniere'. Il s'agissait en 1525, aux yeux d'Antoine Le
Viste et de ses amis, non seulement de sauver l'Eglise mais surtout le pays.
Dans
une lettre datable de 1502, dont une traduction truque a été trouvée
dans les archives d'Istanbul, Léonard de Vinci s'engageait auprès
de Bajazet II à construire un pont d'une portée de 400 m qui franchirait
l'embouchure du Bosphore, la " Corne d'Or ". Léonard en esquissa
une ébauche. Les architectes d'aujourd'hui pensent que ce pont tout en
pierre, malgré sa taille impressionnante (les voiliers toutes voiles déployées
devaient pouvoir passer dessous), était techniquement viable. Pensant
cette construction irréalisable, le sultan ottoman abandonna le projet
qui sera repris en 2001, à une plus petite échelle (240 m de portée)
à Ås près d'Oslo en Norvège, pour une reproduction
plus petite et toute en bois. Michel-Ange, invité lui aussi à
proposer un projet, refuse. (lire le roman de Mathias Enard, Parle leur de
batailles, de rois, et d'éléphants, Actes Sud, 2010)
http://encyclo.voila.fr/wiki/Pont_de_L%C3%A9onard http://www.leonardobridgeproject.org/french/leonardo-design.htm http://fr.wikipedia.org/wiki/Pont_de_Galata
Le
17 mai 2006, le gouvernement turc a décidé de construire le pont
de Léonard de Vinci pour la Corne d'Or.
|
La
monarchie universelle, l'universitas christiana
Me
laisserez-vous entrevoir dans la trame du Pavie les forces antinomiques
(la destruction et la fondation) dialectiquement en jeu dans le dynamisme spontané
de la violence : déstructuration d'un ordre obsolète qui n'est plus
consensuel dans une société atomisée et, paradoxalement,
phantasme de communion, d'unité, dans un collectif nouveau. Soit pour notre
tapisserie, la violence de la bataille de Pavie qui est refus du morcellement
européen et qui clôt pour un temps la rivalité Valois/Habsbourg
et l'évocation par la triade Lion-Dame-Licorne du désir d'épuisement
de cette violence dans la paix et la monarchie universelles.
Claude-Gilbert
Dubois le dit ainsi dans L'Imaginaire de la Renaissance (PUF, 1985) page
176 : " L'imaginaire politique occidental est fondé, au début
du 16ème siècle, sur deux nostalgies unitaires : celle de l'Empire
et celle de l'Eglise. L'empire s'écroule au profit des nations, et l'Eglise
se disloque en églises séparées, dont la plus ancienne n'est
désormais que la première, sans être unique. Elle est fondée
d'autre part sur l'amalgame établi entre le pouvoir et la morale, les deux
piliers de l'autorité. Or Machiavel révèle que la politique,
qui est art de prendre le pouvoir, et de la garder, est affaire de savoir, et
que l'apparence morale n'est qu'un moyen parmi d'autres de parvenir à ses
fins suivant les circonstances. L'imaginaire dit encore : universalité,
moralité, mais le réel répond : disparité, efficacité
Jean
Lemaire de Belges aura ces mots dans Les Illustrations de Gaule : "
Pleust à Dieu que tous noz treshauts princes de Chrestienté fussent
ensemble si bons amyss, que jamais il ny eust que redire ne que radouber en leurs
quereles mutuelles et controverses reciproques, ains alassent unanimement ayder
aux Hongres, aux Bohemes et aux Polaques ".
Déjà,
au 12ème siècle, certains songeaient à un empire unique qui
aurait pu aller de Byzance au roi Arthur : ainsi Chrétien de Troyes dans
son roman Cligès fait évoluer ses deux héros grecs,
Alexandre et son fils Cligès, entre Constantinople, leur patrie, et la
Bretagne du roi Arthur. Soit un va-et-vient continuel entre l'Occident et l'Orient,
que Cligès unit à lui seul, à travers les familles royales
de Byzance et de Bretagne, en tant que petit-fils de l'empereur de Constantinople
et petit-neveu du roi Arthur. Cette idée d'une union politique des deux
chrétientés n'est pas étrangère aux réalités
politiques, les mariages entre princesses grecques et nobles occidentaux étaient
courants. La présence politique française en Orient, sur territoire
byzantin, datait de la premère croisade ; les Français ne conquerront
la Grèce que cinquante ans après la rédaction, vers 1176,
de Cligès.
Alighieri Dante
(1265-1321) précisa son idéal de monarchie universelle fondé
sur un humanisme à la fois antique et chrétien au fil de ses trois
uvres 'politiques', Il Convivio, Epistolae et De Monarchia
: les autorités conjointes, à Rome même, de l'empereur et
du pape apporteraient à l'humanité instruite par la révélation,
sur terre la paix et l'ordre universels chrétienne et dans l'au-delà,
la béatitude édénique.
Aux
temps de la Renaissance, ce sont les nations qui s'affirment.
L'idée
du gouvernement unique du monde, incarné en une personne, existe encore
au 16ème siècle, mais sous une forme de mythe ou d'attentes, comme
celle du Pape Angélique ou du retour du "Grand Monarque". Athéna
est ici la représentante d'une Antiquité, " modèle idéalisé
imaginé comme matrice universelle, ou lieu de fusion de toutes les cultures
et les formes de pensées " (Claude-Gilbert Dubois, Mots et règles,
jeux et délires, p.237). Dans sa " recherche d'un point de convergence
qui polarise les recherches des auteurs syncrétiques et des utopistes ",
l'artiste a convoqué ici Athéna dans un projet de " concorde
universelle, de reconstruction de l'Europe, de reformation de la chrétienté,
de l'unification de l'Univers " ainsi que Guillaume Postel (1510-1581) le
définira dans De orbis terrarum concordia paru en 1544.
Mais
les idées d'Empire et de Croisade ne peuvent plus avoir une force mobilisatrice.
" Elles jouent comme des mythes révolus
Machiavel a bien saisi
combien un discours moral fondé sur la tradition, mais non effectivement
opératoire, peut-être utile, par l'emprise sur l'imaginaire, pour
assurer son pouvoir
Si la force fait défaut, le prince recourt à
la ruse : les idées d'empire, de croisade, de défense de la chrétienté,
de religion sont les paravents, dressés pour les ignorants, du stratège
politique réaliste, qui les manipule à son profit ".
Les
Croisades, malgré leur politisation, conservèrent toujours une structure
eschatologique et leurs échecs successifs n'ont pas anéanti les
espérances eschatologiques. En 1600 encore, dans De Monarchia Hispanica,
Tommaso Campanella demandait au roi d'Espagne de financer une nouvelle Croisade
contre l'Empire Turc pour fonder, la victoire acquise, la Monarchie Universelle.
En 1638 toujours, pour célébrer la naissance du futur Louis XIV,
Campanella dans son livre Ecloga écrit pour Louis XIII et à
Anne d'Autriche, prophétise la recuperatio Terrae Sanctae et la
renovatio saeculi. Le jeune roi conquerra toute la Terre en mille jours
en soumettant les royaumes des infidèles et en libérant la Grèce.
Tous les peuples de la Terre formeront une seule chrétienté et cet
Univers régénéré aura seul centre : Jérusalem.
Au delà de l'anecdotique, après qu'ont été reconnus
et nommés les principaux protagonistes de la scène tissée
et qu'a été expliquée la présence de la déesse
Athéna, doivent être recherchées les implications ultimes
de leur présence à tous dans ce Toucher tardif de 1525.
Cette
tapisserie essentiellement historique expose divers antagonismes : - la lutte
historique haute bourgeoisie VS noblesse au pouvoir - la rivalité François
1er VS Charles Quint - Henry VIII - Charles de Bourbon étudiée ci-dessus
- la naissance des Etats et des nationalisme VS la renovatio impériale
(la résurgence tardive et fantomatique de l'idée d'empire universel,
du Monarque du monde) et la restauration de l'universitas christiana.
En 1519, qui va remplacer Maximilien décédé, grand-père
de Charles Quint et empereur qui dominait la moitié de l'Europe, sur le
trône du Saint Empire romain germanique ? Qui sera le prochain dominus
mundi, le seigneur du monde unifié ?
Les
Grecs avaient cédé " l'Empire " aux Romains qui l'avaient
donné aux Germains en la personne de Charlemagne qui avait été
roi des Francs : ainsi, aussi bien Charles Quint que François 1er pouvaient
se targuer d'être dignes d'exercer l'imperium au sens temporel, le
droit de régir le monde. François 1er avait la supériorité,
affirmait-on, 1- de descendre de l'ancêtre mythique troyen Francus, 2- de
porter le titre de rex christianissimus (le roi très chrétien)
et enfin 3- d'avoir été oint par l'huile de la Sainte Ampoule apportée
du ciel lors du baptême de Clovis. Henry VIII n'avait pour argument que
la prétention de descendre, lui aussi, de Troie par l'intermédiaire
de Brutus, être mythique, parent troyen d'Enée, qui fonda Londres
sous le nom de Troynavant (" Nouvelle Troie "). De ce Brutus descendaient
donc les rois britanniques, selon le mythe Tudor, reprenant à leur compte
le " pouvoir impérial " dans un nouvel âge d'or de paix
et de prospérité. N'ont-ils pas aussi réuni les maisons d'York
et de Lancaster en une monarchie unifiée sous le symbolisme de la "
rose Tudor " ? Chaque dynastie (Valois et Habsbourg essentiellement) développe
un impérialisme politique justifié par des origines dont les racines
sont recherchées et trouvées dans le lointain passé : Gaulois
descendants directs de Noé par Japhet et Gomer ; Troyens exilés
en Gaule via Francum et Pâris, fils de Priam ; et pourquoi pas, cocorico
!, les Gaulois civilisant les Grecs !
A une époque de pleines mutations et en totale crise de conscience faite
de déchirements bellicistes, de fragilités politiques et de pluralités
suite aux 'grandes découvertes' religieuses, ethniques, mythologiques
,
cette volonté d'unité à travers un futur monarchique universel
est me semble-t-il un des faces de la mystique de l'Unité, hantise nostalgique
dont le 16ème siècle sera habité et va de paire avec la quête
de la lingua humana, la langue originelle, le verbe édénique,
adamique, perdu dans 'la Chute' et la 'Tour de Babel' : " Toute la terre
avait une seule langue et les mêmes mots (Genèse, 11-1).
Je vois dans la présence massive de cette faune, pseudo-réelle (chiens,
renards, lapins
) et anthropomorphique (licorne et surtout lion) la trace
de la hantise nostalgique de l'Unité des Origines édéniques
où humains (Adam et Eve) et animaux vivaient en amitié parfaite
qui aurait permis à Eve et au serpent de dialoguer (Il dit à la
femme... La femme répondit au serpent
Alors le serpent dit à
la femme
Genèse, 3-1-4 ) (avant toute métempsychose
!).
Assis
sous un dais fleurdelisé décoré des initiales A et L (Anne
et Louis), Louis XII tient le sceptre et l'épée de justice.
Il est représenté de profil comme un empereur sur une médaille
antique.
|
 | Les
marches du trône portent aussi les initiales A et L et le porc-épic
des Orléans. Dans les marges, alternent des aigles impériales
et des bustes d'empereurs romains : à droite et de haut en bas
: Auguste, Justinien, Constantin, Marc Antoine. à gauche : Nerva,
Trajan, Hadrien, Antonin. en haut, Titus, surnommé "les
délices du genre humain", modèle antique du "Père
du Peuple" que Louis XII prétendait être. La
choix, établi sur : les fondateurs de l'empire les
grands empereurs chrétiens, les Antonins, exprime l'idée que
le roi de France est leur héritier et qu'il peut prétendre à
l'empire. |
Cette
illustration sur parchemin d'Enguerrand de Monstrelet de 1510 (Chroniques,
BNF, ms. fr 20360, f.1) est aux armes de François de Rochechouart, gouverneur
de Gênes.
|
Les
Grands Electeurs élirent Charles Quint qui affrontait à cette occasion
pour la première fois celui qui allait devenir son principal ennemi, François
1er. Charles Quint est couronné à Aix-la-Chapelle en 1521 et tient
sa première diète à Worms la même année.
Erasme
avait écrit en 1516 Institution de Prince Chrétien pour l'éducation
du futur Charles Quint.
En
1516, la publication du poème Orlando furioso (Roland furieux) de
Ludovico Ariosto annonçait cette élection du " nouveau Christ
".
Doit-on à
la lecture de l'extrait suivant (Canto XV ; traduction de Michel Orcel,
Seuil, 2000) passer de Virgo-Astraea à Athéna (sous les traits de
laquelle, plus tard, Elizabeth 1ère d'Angleterre se fera représenter
: Cf. Frances Yates, Astrée : le symbolisme impérial au XVIe
siècle, Belin, 1989) par le titre de " Vierge juste "
commun aux deux déesses?
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Del sangue d'Austria e d'Aragon io veggio nascer sul Reno alla sinistra riva
un principe, al valor del qual pareggio nessun valor, di cui si parli o scriva.
Astrea veggio per lui riposta in seggio, anzi di morta ritornata viva;
e le virtù che cacciò il mondo, quando lei cacciò ancora,
uscir per lui di bando. 26
Per questi merti la Bontà suprema non solamente di quel grande impero
ha disegnato ch'abbia diadema ch'ebbe Augusto, Traian, Marco e Severo;
ma d'ogni terra e quinci e quindi estrema, che mai né al sol né
all'anno apre il sentiero: e vuol che sotto a questo imperatore solo un
ovile sia, solo un pastore. | 25 Je
vois que le vu du ciel incline à unir les maisons D'Autriche et
d'Aragon en une lignée heureuse, Et les voici réunies en une
seule par alliance : Je vois un rameau croître sur la rive du Rhin, Depuis
cette maison, comme lui jamais il n'y en eut Pour l'égaler (je serais
bien hardie d'en dire davantage), Et nul auteur ancien ni moderne n'en conçut
l'égal. 26 Par
lui, à nouveau Astraea reviendra, Et sera ramenée de son trop
long exil, Et les vertus qui si longtemps ont été réduites
à rien Règneront et banniront la fraude, la fourberie et la ruse
: Pour que ces grandes uvres soient accomplies Dieu a projet de lui
confier toute cette île terrienne Et sous ce sage Prince qu'il a sacré
lui-même Il a prescrit un berger et un troupeau.
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Le grand traité de paix universelle de 1518 :
Le traité de Londres, signé dans la capitale anglaise en 1518, est un traité conclu entre les principales puissances européennes de l'époque, à savoir la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Saint-Empire romain germanique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Londres_(1518)
Cette réunion au sommet
que Pavie expose, ce G4 renaissant qui rassemble les sommités de
l'époque, peut être comparée à la procession des Skira
qui " réunissait " à Skiron, près du fleuve
Céphise, à la limite des deux territoires d'Athènes et d'Éleusis,
deux cités autrefois ennemies, les protagonistes suivants : Athéna
Polias (ici la Dame = Charles III de Bourbon), Hélios, représentation
divine du soleil (ici le Lion = Charles Quint) et Poséidon, dieu de la
Méditerranée (ici la Licorne dont la corne serait un trident = Henry
VIII) qui offraient en ce jour de fête l'image d'une bonne entente entre
les divinités tutélaires assagies d'Athènes et d'Éleusis
qui s'étaient affrontées lors de la " guerre des origines ".
Ces aventures mythologiques étaient, très probablement, connues
de Jean Perréal et alimentaient son imagination créatrice. Dans
ce Toucher 2, je crois qu'il a voulu exalter un espoir de paix universelle
au lendemain de Pavie.
Nouveau règne de la paix et de la justice universelles,
nouvel âge d'or sous l'autorité d'un Souverain Unique que la défaite
française de Pavie pourrait augurer à nouveau. Le Titien, dans son
tableau équestre (tel une statue antique d'Empereur romain déposée
sur la toile) de Charles Quint proclame ce rôle impérial d'un souverain
sur le domaine duquel jamais le soleil ne se couche.
Il
existe dans les traditions diverses de l'islam un courant eschatologique important.
A la fin des Temps, Mahdi, l'homme juste guidé par Dieu, (qui pourra être
accompagné de Jésus) viendra détruire les religions fausses
et établira, avec la justice et la vertu, l'islam dans le monde entier
Au 16ème siècle, certains virent en Soliman le Magnifique ce Mahdi
et ce Conquérant-là. Les Chrétiens, dans une perspective
eschatologique parallèle, considéraient Charles Quint empereur comme
le Conquérant universel. Notre faisan à senestre ouvre bien des
horizons !
Mais, rétorqueront
certains de mes lecteurs, la présence des trois nations, la France, le
Saint Empire et l'Angleterre, ne plaide-t-elle pas plutôt pour une pensée
anti-impériale et la reconnaissance d'Etats nationaux puissants et bien
organisés, indépendants et en bonne intelligence entre eux, dont
Machiavel développera la conception ? Peut-être ont-ils raison
Ces citations extraites de l'analyse L'Europe et l'héritage européen
jusqu'à la fin du 19ème siècle de Jan Patocka, in Essais
hérétiques sur la philosophie de l'Histoire, Petlice, Prague,
1975 et Verdier, 1981, aideront à la réflexion : " L'héritage
de l'empire romain est lui-même la continuation d'un autre héritage,
légué par la polis grecque à ses successeurs romain et hellénistique
et qui se résume dans l'aspiration vers la communauté de la vérité
intelligible et de la justice comme idée morale culminante de la philosophie
classique
L'héritage de la philosophie classique grecque, c'est le
souci de l'âme [qui] signifie : la vérité n'est pas donnée
une fois pour toutes, elle n'est pas non plus l'affaire simplement de la contemplation
et de l'appropriation par la pensée, mais bien par la praxis de la vie
intellectuelle, qui la vie durant se sonde, se contrôle et s'unifie elle-même
Le souci de l'âme est donc ce qui a engendré l'Europe
Le 16ème
siècle semble être le grand tournant dans la vie de l'Europe occidentale.
A dater de cette époque, un autre thème, s'opposant au thème
du souci de l'âme, se porte au premier plan, s'empare d'un domaine après
l'autre - de la politique, de l'économie, de la foi et du savoir - et y
introduit un style nouveau. Le souci d'avoir, le souci du monde extérieur
et de sa domination, l'emporte sur le souci de l'âme, le souci d'être
L'organisation de la vie économique selon le mode capitaliste moderne qui
s'effectue à la même époque, relève elle aussi du même
style principiel. A compter de cette époque, il n'y a plus pour l'Europe
occidentale en expansion de lien universel, d'idée universelle capable
de s'incarner dans une institution et une autorité unificatrices, concrètes
et efficaces : la primauté de l'avoir sur l'être exclut l'unité
et l'universalité, et les tentatives pour y suppléer par le pouvoir
demeurent vaines.
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