Jean PERRÉAL 1

 

Alors le jeune homme se mit à chanter de cette même voix prodigieuse et avec cet art inexprimable dont Amédée se souvint alors confusément d'avoir été charmé.
Oui, viens ! disait-il, dans ces rimes mélodieuses qui semblaient faites pour son chant. Viens, mon roi. Ceins ta couronne de flamme blanche et de soufre bleu d'où s'échappe une pluie étincelante de diamants et de saphirs !
— Me voici ! enveloppe-moi dans des fleuves de lave ardente, presse-moi dans tes bras de feu, comme un amant presse sa fiancée. J'ai mis le manteau rouge. Je me suis paré de tes couleurs. Revêts aussi ta brûlante robe de pourpre. Couvre tes flancs de ces plis éclatants. Etna, viens, Etna ! brise tes portes de basalte, vomis le bitume et le soufre. Vomis la pierre, le métal et le feu !

George Sand, Histoire d'un rêveur, 1830

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" Le nom vient toujours de l'autre, et plus encore le surnom. "

Marc Froment-Meurice, Personne a/à ce nom, in L'animal autobiographique, Autour de Jacques Derrida, p.125, Galilée, 1999

 

Jean Perréal est-il le fils ou le père

de Claude Perréal ?

Question des plus importantes car la réponse oblige ou non à rechercher l’origine de ce nom.

 

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1730

 

Le texte de Dominique de Colonia, père de la Compagnie de Jésus, Histoire littéraire de la ville de Lyon, avec une bibliothèque des auteurs lyonnois sacrez et profanes, distribuez par siècles (vol. 2, Lyon, François Rigollet, 1730), n’a pas été lu avec assez d’attention.

 

« Mais ce qui interesse le plus nôtre Histoire Littéraire dans les Poësies de Marot, c'est qu'il y a perpetué le souvenir de plusieurs de nos illustres & sçavans Citoyens, que nous ne connoîtrions guére, ou que nous connoîtrions moins exactement, sans son secours. Les personnes les plus distinguées dans la Littérature que Marot nous fait connoître dans l'un & l'autre Sexe,  sont Maurice Seve son bon ami, Claude Perreal, Valet de Chambre de François I, Jeanne Faye, Jeanne Gaillarde, Claudine & Sibille Seve, parentes de Maurice. Les differens traits que Marot va nous fournir, joints à ce que nous puiserons dans d'autres sources, nousferont connoître le prix de ces illustres Citoyens. (p. 513)

[Clément Marot (1496-1544) est un temps valet de chambre de François Ier. Son père est le poète Jean Marot (v.1450-v.1526).

Maurice Scève (vers 1500-1564) est considéré comme le chef de file de L’École lyonnaise.

Claudine Scève, Sybille Scève et Jeanne Gaillarde (née vers 1510), amies de Marot, écrivent des vers. Marot rime aussi pour Jeanne Faye. « Les Sœurs Perréal, filles de l'imprimeur, femmes  poètes » sont citées sur le site suivant :

http://collections.bm-lyon.fr/PER0013734/PAGE3_PDF]

 

Ce Claude Perréal ne peut pas être le PÈRE de notre Jean (né pour beaucoup vers 1460, donc âgé d’environ 60 ans vers 1520). Ce père doit être mort depuis bien des années !

 

Ce Claude Perréal ne peut être que le FILS de Jean Perréal, né vers 1500 comme ses amies et amis. Son prénom Claude est-il en hommage à la fille aînée d’Anne de Bretagne et de Louis XII, Claude de France ? Il doit avoir dans les 20 ans, comme toute cette bande de jeunes poètes, femmes et hommes, qui tiennent le haut du pavé lyonnais.

 

Continuons avec Dominique de Colonia :

 

« Les Poësies du même Marot nous ont fait aussi connoître quelques autres spirituelles & sçavantes Lyonnoises. On y trouve des Etrennes poëtiques pour Jeanne Faye, ou de la Faye. Il y a un Rondeau serieux, adressé aux sœurs & aux bons amis de Claude Perreal, Lyonnois, & Valet de Chambre du Roi. Dans ce rondeau Marot exhorte les amis de Perreal, qui avoient du genie pour la Poësie, à l'immortaliser par leurs Vers ; & il excite ses sœurs, qui avoient du goût pour la peinture, à se peindre elles-mêmes, pleurantes sur le tombeau de leur frere ; tandis que lui va le peindre à sa maniere, dans cet épitaphe, en forme' de Rondeau. » (p. 540)

 

XXIXe rondeau de Clément Marot

(L'Adolescence Clémentine, 1532)

 

Aux Amys & Sœurs de feu Claude Perreal, Lyonnais

 

En grand regret, si pitié vous remord
Pleurez l'Amy Perreal, qui est mort,
Vous ses Amys : chascun prenne sa plume :
La mienne est preste, & bon desir l'alume
A déplorer de sa part telle mort.


Et vous ses Sœurs, dont maint beau tableau sort,
Paindre vous fault, pleurantes son grief fort
Près de la Tombe, en laquelle on l'inhume
En grand regret.

 

Regret me blesse & si sçay bien au fort,
Qu il fault mourir, & que le desconfort
Soit court ou long n'y sert que d'amertume :
Mais vraye amour, est de telle coustume,
Qu'elle contrainct les Amys plaindre fort
En grand regret.

 

Dominique de Colonia cite encore Jean Perréal quand il s’attaque à Henri Corneille Agrippa de Nettesheim  (1486-1535) :

 

« L'idée qu'on avoit alors de Corneille Agrippa étoit fort differente de celle que bien des gens s'en forment aujourd'hui. On le regardoit comme un puissant génie, qui sçavoit lire dans les Astres la
destinée des Rois & le fort des Empires ; & comme un profond Chimiste, qui par les influences de ces mêmes Astres, sçavoit faire à son gré ce qu'on appelle aujourd'hui dans le jargon Chimique, l'alliance, le divorce & la transmutation des Métaux. La lettre que son disciple favori Landulphe lui écrivit de Lyon, pour l'y attirer, est une preuve de ce que je dis. Venez, lui dit-il, venez nous joindre  sans delai ; nous vous attendons avec impatience dans cette  Ville, où vous trouverez bien des merveilles cachées &
que nous regardons comme le centre de nôtre commune félicité. Mais en partant n'oubliez pas les aîles de Mercure, & le sceptre de Jupiter : c'est-à-dire, en jargon de Chymiste, tout I'attirail necessaire pour travailler à la pierre philosophale. Agrippa vint à Lyon vers le mois de Fevrier de l'an 1524. & il y fut jusqu'au mois de Decembre de l'an 1527. Le vain entêtement de la pierre philosophale & l'art dangereux de l'astrologie judiciaire étoient la double folie du seiziéme siecle ; c'étoit surtout la folie de la Cour de France, & celle de Loüise de Savoye, mere de François I.  André Briau Medecin du Roi, Perreal son valet de Chambre, tous deux Lyonnois, appuyerent les recommandations de l'Évêque de Glandeves. Agrippa que je ne regarde que comme un imposteur, aussi habile qu’il étoit sçavant, soûtint par ses rares talens toute l’idée qu'on avoir donnée de lui ; il entendoit huit Langues, & il en parloit bien six. Il étoit Orateur, Philosophe, Médecin, Chymiste, Astrologue, Chevalier, Théologien, Docteur & Professeur en Droit Canonique & Civil. Il promit des merveilles à la mere du Roi. Mais ces merveilles approfondies disparurent bientôt. La Princesse en vouloit sçavoir sur le sort du Roi son fils, beaucoup plus qu'Agrippa ne pouvoit lui en dire ; elle s'en dégoûta ; Agrippa partit fort mécontent de la Cour de France, comme il le fut depuis de celle de Charles-Quint, & après avoir erré quelques années en Flandres & ailleurs, il vint enfin mourir à Grenoble l’an 1535. » (p. 712-714)

 

https://books.google.fr/books?id=QKs9AAAAcAAJ&printsec=frontcover#v=onepage&q=perreal&f=false

 

Le diocèse de Glandèves est créé à la fin de l'Antiquité, avec son siège dans la ville disparue de Glandèves. Durant la majeure partie de son existence, l'évêque siège dans la ville d’Entrevaux, actuellement dans les Alpes-de-Haute-Provence. Sont évêques de Glandeves à cette époque : Christophe de Latvo (1493-1509), Symphorien Bullioud (1509-1520), Philippe Terrail (1520-1532).

 

Selon Auguste Prost (Corneille Agrippa : sa vie et ses œuvres, Champion, 1881), Landulphe, ancien compagnon d’études de Corneille Agrippa à l’université de Paris, lui écrit treize lettres de 1507 à 1512.

 

En 1524, Jean Perréal est encore en vie (il meurt en 1530) ; c’est sûrement lui qui appuie la venue de Corneille Agrippa à Lyon à cette date. S’il n’a pas été forcément un alchimiste opératif, son intérêt pour l’alchimie spéculative est grand. Il écrit en 1516 pour François Ier La Complainte de Nature à l'Alchimiste errant et je pense fortement qu’il est (en autre) le marcheur solitaire sur la rive droite de la rivière au premier plan de La Chasse à la licorne.

 

Le docteur André Finot (Les médecins des premiers Valois) cite André Briau (?-1530) parmi les médecins ordinaires de la Maison médicale de Louis XII, puis de François Ier, avec François d'Allez et Louis Burgensis.

http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1998x032x004/HSMx1998x032x004x0373.pdf

 http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1978x012x002/HSMx1978x012x002x0119.pdf

 

Donc, à partir de ce texte de Dominique de Colonia, avec de la perspicacité et quelques recherches (bibliothèques ou internet), il est possible de choisir entre le père et le fils, Jean étant le troisième larron de cette trinité.

 

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1757

 

Le texte que consacre l’abbé Jacques Pernetti (v.1696-1777) à Claude Perréal en 1757 n’apprend pas grand-chose mais il n’invente rien, ce qui est déjà bien :

 

« Claude Perreal, Lyonnois, Valet-de-chambre du Roi, est encore célébré par Marot. Il veut que tous ses amis pleurent sa mort, chantent son mérite, & leurs regrets ; il exhorte les sœurs de Perreal, qui avoient du talent pour la peinture, à se peindre elles-mêmes pleurantes sur le tombeau de leur frere. » (Recherches pour servir à l'histoire de Lyon, ou les Lyonnois dignes de mémoire, tome I, Lyon, Duplain, 1757, p. 281)

 

https://books.google.fr/books?id=R7t6EKwR4p4C&pg=PA281&lpg=PA281&dq=Jacques+Pernetti+%2BClaude+Perr%C3%A9al&source=bl&ots=GT82-TP12n&sig=bpj27VBwCedxkkGR3Ex2YW4cElg&hl=fr&sa=

X&ved=0ahUKEwiqvsqPvYjRAhXFOBoKHelJA_MQ6AEIIzAA#v=onepage&q=Jacques%20Pernetti%20%2B%20Claude%20Perr%C3%A9al&f=false

 

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1864 

 

Mais, badaboum ! Après lui, c’est le grand frisson des copieuses-colleuses et des copieurs-colleurs. Copier-coller devient un mode de recherche. La valse des copiés-collés unanimes peut commencer, sous la baguette du maestro Charles-Jules Dufaÿ (1808-1887) qui écrit en 1864 sans avoir étudié le texte qu’il cite comme référence. Allez-y voir dans son Essai biographique sur Jehan Perréal (Lyon, 1864). Il suppose que Claude Perréal est le père de Jean et avance le nom de Louis XI (oui, onze !) De quel chapeau le sort-il ? Dominique de Colonia ne cite le nom de Louis XI (onze) qu’aux pages 384-394 du tome 2 lors de ses venues à Lyon sans relation aucune avec un Perréal. Et aucune mention des noms de Perréal et Louis XI dans le tome 1.

 

« Son père, Claude Perréal était lui-même varlet de chambre du roi Louis XI. Il a été aussi peintre et poète. Le père Colonia en fait mention dans son Histoire littéraire de Lyon. » (p. 14)

 

Inutile d’aller plus loin. Ite missa est. L’erreur est écrite noire sur blanc, graine des moissons erronées des siècles suivants.

 

 « Le premier qui recopie la première erreur avancée par un compilateur malintentionné ou mal informé fabrique une vérité révélée que des générations se contentent de reproduire... » (Michel Onfray, Les Sagesses antiques. Contre-histoire de la philosophie, tome I, Grasset, 2006, p. 212-213.)

 

Vous l’avez vérifié de vos propres yeux avec les « historiennes et historiens » (je ne parle pas de « l’écrivaine » qui en devient ridicule) à propos de Mary Tudor.

 

https://books.google.fr/books?id=VHrUBAAAQBAJ&pg=PA14&lpg=PA14&dq=claude+perr%C3%A9al&source

=bl&ots=iDkv43WXX6&sig=hM9tRwLu5s88M4kjmnBjO2aL-oU&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjN4f-JiIbRAhWEv

RQKHfGcCVUQ6AEIJzAB#v=onepage&q=claude%20perr%C3%A9al&f=false  

 

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1885  

 

Etienne Bancel écrit :

« Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, naquit à Lyon vers 1460 ou 1463, d’après M. Bérard et M. Dufaÿ, car on n’a pas la date précise de sa naissance. Ce dernier le suppose fils d’un Claude Perreal, valet de chambre du roi Louis XI, dont fait mention le père Colonia dans son Histoire littéraire de Lyon.

Nous ne savons rien de ses premières années, mais ses connaissances si variées permettent de présumer qu’il appartenait à une famille distinguée et qu’il les employa à l’étude des belles-lettres et des beaux-arts, ce qui lui était facile, car la ville de Lyon était alors le centre d’un mouvement artistique remarquable.

Donc, sans quitter son pays, il put ainsi s’initier aux secrets de la peinture, telle que les artistes les possédaient à la fin du quinzième siècle. Mais il ne se contenta pas de cet enseignement, et, d’accord avec le goût qu’il a montré toute sa vie de voyager dans le but de s’instruire, et aussi suivant l’habitude des artistes de ce temps, il fit probablement un séjour dans les Pays-Bas, à Bruges même, pour étudier les procédés de la peinture à l’huile et la manière de Van Eyck, de Memling, très à la mode alors en France et en Italie. Il y réussit d’une manière très remarquable, ainsi qu’on peut en juger par le tableau dont nous allons parler.

Son voyage ne fut pas long, car on le trouve rentré à Lyon en 1483 ; il avait alors vingt ans ; s’il eût été un enfant de Paris, ainsi que le surnom de Jehan de Paris l’a fait supposer à quelques personnes, il se serait arrêté à Paris, où les commandes artistiques sont plus abondantes qu’en province. » (p. 17-18)

 

Jean Perreal dit Jehan de Paris, peintre et valet de chambre des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier : recherches sur sa vie et son œuvre,  Paris, Launette, 1885.

 

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Le site suivant ne donne pas ses sources :

http://www.portrait-renaissance.fr/Artistes/jean_perreal.html

 

« Peintre, portraitiste, dessinateur, miniaturiste, décorateur, Jean Perréal dit Jean de Paris fut vraisemblablement le fils du peintre Claude Perréal, qui avait travaillé pour Louis XI en 1474. »

 

L’adverbe « vraisemblablement », d’un emploi trop facile, est une arme redoutable pour répandre une erreur. Mais aucune référence pour asseoir la paternité et Louis XI.

  

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1973

 

Pierre Villey rétablit quelques vérités dans son Tableau chronologique des publications de Marot, Slatkine, 1973.

 

« L'autre pièce est le Rondeau aux amys et sœurs de feu Claude Perreal lyonnois (Jannet, Il, 143). Il est de tradition d'admettre que ce rondeau s'adresse aux amys et sœurs du fameux artiste Jean Perréal ou Jehan de Paris, et d'en rapporter la composition à l'année 1528 (2). En réalité, s'il nous entretenait de la mort de Jean Perréal, il serait au plus tôt de 1530 ainsi qu'on l'a récemment montré (3). Mais cette opinion me paraît peu probable. Il faut ignorer la place que tenait le prénom dans l'appellation au XVIe siècle pour croire que la substitution de Claude à Jehan, je ne dis pas, ait pu se produire, mais se soit propagée à travers tant d'éditions sans être jamais corrigée. Les éditions lyonnaises de Marot apparaîtront au lendemain de la mort de Jean Perréal, et elles seront nombreuses. Or dans toutes le nom de Claude est maintenu, même dans l'édition de 1538 qui a été revue et corrigée avec soin. Certainement c'est bien un Claude Perréal que Marot célèbre, sans doute quelque parent de Jean (4) ; et la date du rondeau nous est inconnue.

Au reste, une exception ou deux, si l'on en découvrait quelque jour, seraient sans importance. Quel que soit le terme de l'adolescence, ― achèvement de la trentième année, ou élévation à la charge de valet de chambre du roi, ou toute autre circonstance ― ce terme n'est en aucune manière une limite rigoureuse. » (p. 32-33)

 

Notes

(2) Cf. Renouvier, Jehan de Paris (Paris, Aubry, 1861, p. 26 et note de la page 27).

(3) Maitre Maurice Roy a fixé la mort de Jean Perréal à juin ou juillet 1530 sur la foi d'un acte de notoriété passé par devant notaire (séance des antiquaires de France, 15 décembre 1909).

(4) Plusieurs membres de la famille pouvaient très bien s'adonner à la peinture : d'après le texte même de Marot, les sœurs de Claude Perréal, qu'il soit ou non le même que Jean, étaient peintres, et l'une d'elles est, selon toute apparence, la Louise Perréal qu'Eustorg de Beaulieu célèbre dans les Divers rapports (édition de 1537, f° 64). Peut-être s’agit-il  d'un fils de Jean, car nous savons qu’il avait un fils et deux filles (cf. Maulde La Claviere, Jean Perréal dit Jean de Paris, p. 46). On remarquera qu'aucune édition de Marot, à ma connaissance, ne donne à Claude Perréal le titre de valet de chambre du roi, dont sans doute on n'eût pas manqué d'honorer la mémoire de Jehan de Paris. M. Emile Picot a bien voulu me signaler qu'il a rencontré à la Bibliothèque Nationale (fond Moreau, 892 fr. 414) les noms de trois Perréal, Jean, Claude et Guillaume, nés à Vellessin, près Montbenoist.

 

https://books.google.fr/books?id=58fs9G57cH0C&pg=RA1-PA32&lpg=RA1-PA32&dq=claude+perr%

C3%A9al&source=bl&ots=KDhYD6BOes&sig=b8j7K9LkhLu3QY8ObnPxaOLGqo8&hl=fr&sa=X&ved=0ah

UKEwjN4f-JiIbRAhWEvRQKHfGcCVUQ6AEIMjAE#v=onepage&q=claude%20perr%C3%A9al&f=false

  

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1980

 

Franz Josef Hausmann, dans son ouvrage Louis Meigret: humaniste et linguiste, Tübingen, Gunter Narr, 1980, permet d’y voir encore plus clair :

 

« La voie de Laurent Meigret nous mène à une autre famille lyonnaise qui semble avoir été en rapport avec les Meigret. C'est la famille des Perréal. Jean Perréal, appelé Jehan de Paris, bien qu'il ait passé une grande partie de sa vie à Lyon, né en 1463, est de la même génération que Antoine Meigret et Jean Marot dont il partage l'état de valet de chambre du roi à partir de 1498. Il est surtout célèbre comme peintre des rois Charles VIII, Louis XII et François ler (35). Tory se déclare son élève (36). Mais il est en outre "expert aux fortifications" et c'est surtout en 1512, lorsque Lyon, dénué de fortifications suffisantes, craint une attaque de la part des Suisses, que Perréal entre en scène comme "contrôleur des bâtiments" surveillant les nouvelles fortifications, les documents l'appellent désormais "contrerolleur Jehan de Paris". Son fils, Claude Perréal (1493-1538) est l'ami de Clément Marot (1495-1544), lequel est, comme nous savons, l'ami de Laurent Meigret. Mais ce qui rapproche définitivement les deux familles, c'est, après la mort de Jean Perréal (en 1528 ?), un document d'imposition de la "fille du dit de Paris, dame de Champeneux, pour sa grange de Meigret" (37). De quelque façon que ce soit, il semble bien qu'il y ait eu entre les Meigret et les Perréal un rapport de parenté dont il faudra se souvenir pour expliquer certaines caractéristiques de Louis Meigret. » (p. 11)

 

Notes :

35. Cf. BanceI, Perréal.

36. Tory, Champ fIeury, XLVI v°.

37. Bancel, Perréal, 160. Grange signifie ''l’ensemble des bâtiments et des terres formant une unité d'exploitation" (Cf. Gascon, Grand commerce, 847). Cf. aussi Audin/Vial, Dictionnaire s.v.., Perréal : "le 26 et 30 juillet 1506 il se présente à l’hôtel de Ville, demande pour Ant. Meygret, l'autorisation d'élever une terrasse sur une tour de la ville".

 

Continuons la lecture de ce livre au chapitre 5, Les arts libéraux, les sciences et l’art militaire, sous-chapitre 5.3, La peinture :

 

Il existe un autre art qui est également relié aux mathématiques et qui joue dans la pensée des humanistes un aussi grand rôle que la musique, c'est la peinture. Du Bellay compare le sens caché dans les vers de Ronsard à celui qu'il faut déceler dans les œuvres de Michel-Ange. (10) Pontus de Tyard entretient des relations avec le peintre Pierre Corneille (+ 1574) de Lyon, les maîtres de la peinture font partie de l'Académie de Baïf. Ce qui unit musique, art et poésie, c'est la recherche de l'harmonie, de la juste proportion, de la parfaite symétrie, du parfait équilibre.

La lignée d'artistes qui intéresse le biographe de Meigret est constituée de Jean Perréal (1463-1529) de Lyon, contemporain de Dürer, ami de Léonard de Vinci et portraitiste des rois de France, (11) de son élève Geoffroy Tory (1480-1533), traducteur, imprimeur, graveur et linguiste qu'on a pu appeler le "Dürer français" (12) et enfin des élèves de Tory (dont Mercure Jollat) qui signaient leurs œuvres d'une croix de lorraine (‡) en ajoutant ainsi un trait au T de leur maître. Auguste Bernard, le biographe de Tory, a trouvé cette croix dans deux des traductions de Meigret, celle de Dürer et celle de Robert Valturin, les deux livres étant richement pourvus de dessins. (13) Qu'on se souvienne des rapports de parenté que nous avons pu découvrir entre la famille des Meigret et celle des Perréal. (14) Il faudra encore se rappeler les nombreux points communs que nous avons déjà pu constater entre Meigret et Tory. (15) Car un autre vient s'y ajouter. Ces deux auteurs ont pour ainsi dire introduit la peinture dans la linguistique. Pourquoi le Champ fleury, ce livre énigmatique, est-il rempli de dessins du corps humain, dont un est fait par Perréal ? Parce que Tory, dans sa recherche d'orthotypographie, essaie de proportionner les lettres aux membres du corps humain. C'est là sa contribution, et qu'il comprend comme un début, à la création d'une linguistique du français. Meigret, qui poursuit l'œuvre orthographique et grammaticale de son maître, l'égale aussi quant à l'enthousiasme qu'il voue à la peinture. » (p. 44)

 

Notes :

10. Yates, Academies, 141n.
11. Cf. Bancel,
Perréal.

12. Cf. Bernard, Tory et Mégret, Tory.
13. Bernard. Tory, 322 s., 358.

14. Cf. chap. 1.

15. Cf. chap. 2.1 et 3.

 

Poursuivons encore :

 

« Et si, maintenant, nous jetons un regard sur la famille Meigret, nous nous apercevons que, d'après les recherches d'Alexis François, Laurent Meigret était "capitaine" et ingénieur des fortifications de la ville de Genève. Il semble qu'il ait appris ce métier comme compagnon de Guillaume du Bellay. (36) Nous remarquons en outre que Jean Perréal dont nous avons souligné les rapports de parenté avec les Meigret, se distingue en 1512 comme contrôleur des nouvelles fortifications que la ville de Lyon fait ériger par crainte d'une attaque de la part des Suisses. (37) Louis Meigret étant très étroitement lié avec Laurent ― confère leur accusation en 1532 ―, une formation commune semble probable.

Si, après tout cela, il fallait encore des preuves pour rendre possible et vraisemblable l'affirmation de Blanchard, il suffirait de renvoyer le sceptique à tous ceux qui, comme Maigret, réunissaient deux activités qui, aujourd'hui, semblent s'exclure. 

En effet, le métier militaire et les "bonnes lettres" allaient très bien de pair au seizième siècle. Symphorien Champier, savant célèbre, interrompt à l'âge de 37 ans ses études pour endosser la cotte de mailles (38). Et en 1555, Peletier adresse une postface du Dialogue à un certain Toumas Corbin qui lui a fait, en son absence, la première édition du Dialogue et dont il dit qu'il s'est entre temps rendu en Piémont "pour accompagner la profession littéraire de celle des armes". (39) (p. 55)

 

Notes :

34. Vial, Institutions consacre un chapitre au "Chevalier du guet et sa compagnie". Pasquier, Recherches, 683 nous apprend que guet est le vieux mot pour corps de garde.

35. Cf. Grammaire 57.19 : "mon compagnon à vision" ou Traité Biv v°s. : "Cet arbalétrier qui passe a frappé une passe d'une arbalète de passe".

36. François, Le magnifique, 18.

37. Bancel, Perréal 129 ss.

38. Allut, Champier, 19.

39. Peletier, Dialogue, 144.

  

https://books.google.fr/books?id=rzTytrsL678C&pg=PP5&lpg=PP5&dq=Franz+Josef+Hausmann,+Louis+

Meigret:+humaniste+et+linguiste,&source=bl&ots=Nh6H7r5ljO&sig=5HAXDHMInkO2qJITcOcQxcx_yvk&hl

=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjuzdCnz4jRAhVCExoKHbxsDlMQ6AEIOTAE#v=onepage&q=Franz%20Josef%20Hausmann%2C%

20Louis%20Meigret%3A%20humaniste%20et%20linguiste%2C&f=false

 

Mais, à part l’ouvrage de Bancel de 1885, Hausmann ne donne pas ses sources pour justifier les dates de Claude Perréal. 

 

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Maintenant, sur des bases assainies, je peux me livrer posément et fermement à la recherche de la création de ce nom de Perréal par lequel un homme jusque là nommé anonymement Jehan de Paris veut affirmer son identité. Un nom qu’il fabrique lui-même (ou sur une suggestion, même fortuite). Un nom qui le campe dans son siècle, dans sa ville, dans la cour royale, dans la liste des artistes de tous les siècles passés et à venir. Un nom à transmettre à ses filles et à ses fils.

 

" L'affirmation des individualités : l'apparition de la signature

La fabrication de ce qu'on a pu appeler des produits de boutique nourrit donc une plèbe d'artistes qui ne peuvent prétendre à des avantages plus élevés. Mais, entre ces exécutants et les peintres ou les sculpteurs dont, aujourd'hui, nous admirons les œuvres, un fossé se creuse à l'aube de la Renaissance, séparant deux catégories que la communauté fictive du nom " artistes " ne saurait réunir.

Parmi les plus doués des créateurs, ceux dont les princes et les amateurs éclairés distinguent le travail, une conscience commence à naître : celle de leur valeur personnelle.

Après des siècles d'anonymat des œuvres, l'apparition puis la généralisation des signatures sont le premier et le plus important indice de cette prise de conscience.

Elle se produit à la fin du XIIIe siècle : alors, les œuvres italiennes rompent avec l'art byzantin, dans lequel l'icône est une image trop sacrée pour que la présence humaine s'y manifeste, même sous l'aspect de la simple mention du nom de l'artiste. La forme prise par cette signature est aussi significative, qu'elle souffre d'une véritable inflation narcissique (lorsque l'artiste l'appose en lettres d'une taille considérable, comme c'est le cas pour Mantegna dans la Chambre des époux, à Mantoue, ou pour Giovanni Bellini dans la Vierge à l'Enfant bénissant de la Pinacothèque de Brera, à Milan) ou qu'elle s'inscrive sur un cartellino, morceau de parchemin replié en trompe l'œil à la surface du tableau, exercice d'illusion virtuose destiné à faire sensation et à prouver l'excellence du peintre.

L'image du peintre : l'autoportrait

Mais l'existence d'autoportraits d'artistes, de plus en plus fréquents dans toute l'Europe à partir du XIVe siècle, démontre aussi l'assurance nouvelle d'hommes qui estiment assez leur talent pour imposer leurs propres traits à l'attention des générations à venir. Le premier de ces autoportraits, pour autant que nous le sachions, est celui de Giotto, dissimulé, il est vrai, à l'intérieur d'une composition, dans une fresque du Jugement dernier au Bargello de Florence, La plupart des artistes suivent ensuite son exemple… "

Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, tome 2, pp. 51-52.

 

Les " signatures " possibles de Jean Perréal

 

Le chien est le plus parfait des animaux. Seule l'astuce mystique et clairvoyante d'un museau de chien permet de saisir les pensées qui importent le plus.
Ladislav KLlMA, Je suis la Volonté Absolue, 1917

 

« Tuer le père » en se donnant un autre nom, contenant cependant le mot « père » mais royal (réal), celui-là.

 

Ce nom de Jehan Perréal s'est imposé déjà en 1981 à André Arnaud, génial autodidacte creusois ; il s'impose à mon ami étatsunien Howard Comeau et à moi-même pour diverses raisons.

La principale est que nous pensons tous deux avoir découvert sa " signature " en plusieurs lieux des tapisseries des deux tentures que nous connaissons bien, La Chasse à la Licorne et La Dame à la Licorne.

Rendons au génie d'Howard Comeau ce qui est une de ses découvertes les plus précieuses : la " trace " laissée par l'artiste créateur de La Chasse à la Licorne et de La Dame à la Licorne, cette empreinte qui va permettre de le reconnaître, de le nommer. Howard Comeau, "chasseur" infatigable, expert en tout art, "chien" au flair infaillible ; sans permis de chasse et de port d'armes, sans diplômes reconnus de vénerie ou de fauconnerie, rusé braconnier chassant sans sonner du cor intempestif sur les terres seigneuriales des "érudits" de l'art, son tableau cynégétique est des plus glorieux : l'identification du créateur de La Chasse des Cloisters sous l'aspect d'un chien qui nous regarde et d'un autre dont une patte est tenue par un prince royal qui exprime ainsi sa reconnaissance.


Dans La Dame, deux chiens - peintres ont été voulus "signatures de notre artiste qui n'a pu "écrire" son nom que l'on peut lire en silence dans un des angles inférieurs de ses œuvres. Aussi l'a-t-il "dit" par un rébus à consonance espagnole qui nous oblige à "parler haut" ou à "écrire" nous-mêmes pour mettre à vif ce nom : perro + réal = Perréal ; Jean Perréal, chien royal, non pas "sale cabot" mais chien de grande lignée, compagnon des fortunes et infortunes des princesses et des reines à qui il est de compagnie. Perréal "fait le beau" c'est à dire qu'il est artiste en beauté ; dans sa chienne de vie difficile, il est fidèle à Mary qu'il a tant vue, tant dessinée, que son ombre disparaît dans la sienne.

Soit le mot 'perro' que la phonie décompose en [pER] + [o] et la graphie en 'père' ou 'pair' + 'eau' : un radical nettement masculin et un suffixe féminoïde, suffixe que Jehan de Paris va doublement masculiniser par l'adjonction de l'adjectif 'real'.
Ainsi : refus d'une 'féminité' et affirmation de sa 'masculinité' rehaussée d'une aura royale donc divine. Triple revendication : politique (proche du pouvoir, voire égal au roi), sociale et artistique (peintre attaché au roi), érotique (je suis homme, fils de mon père).
Mais cette part féminine amputée réapparaîtra (ne pouvait que resurgir) dans La Chasse : rivière que longe le 'pèlerin' et purifie puis traverse la licorne et la fontaine autour de laquelle se sont rassemblées douze personnages (Prophètes, Apôtres, Pairs de France, Troyens antiques, maîtres et disciples de maintes disciplines, entre autres).

 

L'eau de la vie intra-utérine, de la naissance, de la purification, de la résurrection. Eau des alchimistes à la recherche utopique et dangereuse (La Chasse !) de la Pierre philosophale : sagesse, richesse, beauté ? Immortalité ? A travers l'art aussi ? Pour que, hors de l'anonymat, Jehan de Paris devienne Jean Perréal ? Passer l'eau pour accéder à l'autre monde. Eternel Styx.
Pour parvenir au 'Roi' et à la 'Reine' accolés, objets du désir, le 'pèlerin' (que signe l'anagramme 'péréalin') doit traverser par ponts et gués les eaux de la rivière ou du fleuve qui mènent à la ville.
Pour mourir et renaître, ressusciter, la licorne (Christ percée cinq fois, regardez bien) doit suivre la même voie d'eau/x.
(Cf. sur le même thème la très belle analyse, à propos de George Sand, de Jean-Claude Vareille, Fantasmes de la fiction, fantasmes de l'écriture, in George Sand, Colloque, Vierne, 19, pp.125-136)


" On connaît le sens symbolique de la pierre, que l'on trouve dès les origines et qui s'est perpétué dans la mythologie ainsi que dans l'alchimie : pierre philosophale, pierre divine, pierre des transmutations, pierre vivante, ses noms sont innombrables.
Nous avons vu que le roi représente la conscience collective régnante du moment, dont font partie l'attitude religieuse dominante et le symbolisme qui lui correspond. Si le vieil homme apparaît sur terre pour préparer la venue d'un nouveau roi, c'est que la mentalité du moment demande à être ressourcée en retrouvant certaines qualités de la figure divine primitive. " Marie-Louise von Franz, L'Ombre et le mal dans les contes de fées, La Fontaine de Pierre, 1980. Traduction de Francine Saint René Taillandier, p. 96.

 

Le premier de ces chiens assis sur le bas de la robe de Mary traînant sur le gazon de l'île lève la tête vers Mary dans une attitude intensément amoureuse en quête d'un regard qui le sanctifierait. Ce chien est un clin d'œil à son frère ou cousin qui a préféré s'installer sur le bas de la robe du cardinal Jean Rolin du Maître de Moulins. La belle aventure ne fait que commencer : Mary est reine de France de fraîche date, son avenir s'annonce brillant, celui du peintre royal aussi, "dans la traîne" de sa maîtresse. Première signature, premier "signe" de bonheur.

 

La Nativité du Cardinal Jean Rolin - 1470 ou 1480 ?
Jean HEY dit "Le Maître de Moulins" (?)
Autun - Musée Rolin

Le Goût

Selon la date du tableau, différente selon les critiques, 1470 ou 1480, Jean Perréal, né entre 1455 et 1460, peut être l'auteur de cette Nativité.

 

Le second de ces chiens Perréaliens est celui du Toucher (La Tente), dans la même attitude assise mais inversée par rapport à l'autre. Il a perdu de sa superbe : son regard se voile, biffé d'un poil qui se veut peut-être larme, le dessin triste de la moue des lèvres nous émeut, le banc le rehausse dans sa fonction subalterne qui s'achève. C'est la fin de l'aventure et il nous le dit muettement, de ses yeux fixes sur nous posés. Cette tristesse profonde et ce mutisme, signes d'un deuil mélancolique car qui est nommé est promis à la mort, renvoient aux larmes de la tente et à celles de Mary.

Ce chien nous regarde regarder tout à la fois son œuvre et lui-même. Regards croisés qui s'ignorent la plupart du temps ; car le chien de laine ne "peut" nous regarder, et nous, nous le regardons à peine, subjugués par d'autres "choses" ou bien gênés par ce regard qui nous toise. Voilà bien "l'animot" que Jacques Derrida (L'Animal que donc je suis, Galilée, 2006) imagine à son domicile qui le regarde déambuler nu. Malaise que d'imaginer son propre corps d'être humain nu regardé par un animal, surtout familier. Regard dérangeant de ce chien et de tous les animaux dont le regard est dirigé vers le "regardant" des tapisseries. J'imagine Antoine Le Viste (s'imaginant) déambulant nu en ses appartements devant ces animaux qui le fixent. Mary et Claude, pudiquement, baissent les yeux. "L'animal nous regarde, et nous sommes nus devant lui. Et penser commence peut-être là" écrit Derrida, comme pris de vertige. Et lui répond Rainer Maria Rilke dans sa huitième Elégie de Duino : "Ce qui est dehors, nous ne le savons que par le regard des animaux". Il est dans la possibilité de l'animal de nous faire toucher 'le dehors du monde' dont il menace la plénitude par la croyance que nous pouvons avoir de sa 'pauvreté' au monde.

La création nominative quasi adamique de "l'animot" par Derrida permet l'identification de "l'être humain - artiste Jean Perréal" dans ce chien ibérique à qui il ne manque que la parole pour se nommer à son tour sans l'intervention humaine. "Moi, chien de bonne compagnie, qui suis-je ?" est la question qui est posée en cette tapisserie dernière d'avant le départ définitif. Dans le regard de l'animal sur nous levé se manifeste le point de vue de l'"autre absolu". "Qu'est-ce que l'être humain ?" Et si c'était l'être humain qui était "à la traîne" de l'animal ? Et ce, depuis le début, dès la sortie de l'infâme (in-femme) bouillon originel.

Il a fallu, en outre, si mon hypothèse est juste, beaucoup d'humour à Jean Perréal pour endosser un nom lié à un animal à une époque où l'inscription à travers des descendances animales était difficile mentalement.

 

" Je partirai d'une idée essentielle à la généalogie : il n'y a pas d'auto-fondation. Pour que l'espèce soit reconnue, il est nécessaire d'organiser la certitude de la descendance, autrement dit d'instaurer le principe de filiation comme principe garanti. Avant de dire : il y a du père, la paternité fonctionne en tant que principe légal de séparation, etc., il faut dire : il y a de l'ascendant. Que signifie cette formule ?

Elle signifie la nécessité de régler légalement le statut de l'espèce humaine, de l'isoler des autres espèces. En d'autres termes, il s'agit d'affronter ce que j'appellerai la catégorie de l'inter-espèces. Pour me faire comprendre, je vais évoquer un exemple de logique inconsciente, emprunté à ce que m'a appris l'entreprise déroutante de la psychanalyse. Un homme rêve qu'un chien s'est emparé de son pénis. Voilà un rêve typique de castration, qui dans une conjoncture particulière interprétait la fonction fantasmatique d'un chien, dont on peut dire compte tenu d'une certaine histoire familiale : le sujet avait affaire au chien comme à un père. Par identification inconsciente, un animal domestique peut parfaitement venir en place de père. A la faveur d'une transposition, le chien prend statut humain ; par l'oscillation propre du procès identificatoire entre l'avoir et l'être, avoir un chien devient être un chien. L'intérêt de ce exemple ici est d'illustrer la complexité du discours de référence à l'espèce, discours qui doit maîtriser la logique inconsciente déniant si aisément le principe de non-contradiction, alors que s'impose l'ordre social de la différenciation au sens juridique d'une généalogie du genre humain. "

Pierre Legendre, L'inestimable objet de la transmission. Etude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, 1985, p. 156-157.

 

1- Son autoportrait présumé et sa signature acrostiche

Il avint ung jour que Nature

En disputant a ung souffleur,

Hardiment luy dist : " Creature,

A quoy laisse-tu fruict pour fleur ?

N'as-tu honte de ta folleur ?

 

Pour Dieu, laisse ta faulceté

Et regarde bien ton erreur.

Raison le veult et Verité :

Renge-toy a subtilité.

Entens bien mon livre et t'y fie :

Autrement, c'est ta pauvreté.

Laisse tout, prens philozophie.

 

D'aultre part, je te certiffie -

Et me croiz qui suis esperit -

 

Personne n'est qui verifie

Autre que moy l'avoir escript.

Rien n'est ne fut qui onc le veit :

Je l'ay fait pour toy qui le prens,

Si tu l'entens bien, tu apprens.

 

Unique miniature illustrant le long poème de 1 800 octosyllabes

écrit en 1516 par Jean Perréal et dédié à François Ier :

La Complainte de Nature à l'Alchimiste errant

Musée Marmottan, Paris - 18,1 x 13,4 cm

Ms 322044 feuillets XVIe siècle

(vers 1516 ; cf. le début du prologue, où l'auteur dit que c'est onze mois après la bataille de Marignan qu'il a trouvé l'original latin de son poème).

 

http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=BSGC11432
ou
http://liberfloridus.cines.fr/cgi-bin/affich_planche?Paris,_Bibl._Sainte-Genevieve/ms.%203220/1/0

Appartint-il à l'organisation regroupant les hermétistes européens qui se reconnaissaient à l'aide de mots et de signes convenus, l'Association de la Communauté des Mages, créée en 1507 par Henri Cornelius Agrippa, médecin de Charles Quint, chevalier de la Milice d'Or et auteur de la De Occulta Philosophia ?

 

2- Ses " signatures " possibles dans La Chasse à la Licorne

(dates possibles de création : 1495-1505) (1499 : date importante car millénaire du baptême de Clovis par le saint évêque Remi, le 25 décembre 499 - l'Histoire, réelle et mythique, de la France est un des thèmes de La Chasse)

Pour mon 'cousin' et ami Howard Comeau, Jean Perréal a peut-être repris dans La Chasse les mises en scène de pièces théâtrales établies par Jean Fouquet*, peut-être pour illustrer chaque jour de l'année. Ces cartons " pédagogiques " ont pu être utilisés pour éduquer le futur roi Charles VIII (13 ans) et sa " promise ", Marguerite d'Autriche (3 ans). Mais les tapisseries des Cloisters sont postérieures aux dessins et aux mises en scène de Fouquet.

 

 

* Jean Fouquet : 1420 - 1478/81, l'écureuil de la tapisserie La Mort de la licorne. Le nom de famille Fouquet vient du patois des régions de l'ouest et signifiait écureuil.

 

Autoportrait de Jean Fouquet, 1450

 

François III, grand-père du ministre de Louis XIV, Nicolas Fouquet, dessina les armes de la famille : d'argent à l'écureuil rampant de gueules. François IV y ajouta la devise : Quo non ascendet ? (jusqu'où ne montera-t-il pas ?). Jean, notre peintre tourangeau, était-il un ancêtre de cette famille ?

 

le prénom et le nom

Plusieurs tapisseries portent le prénom et/ou le nom de leur créateur présumé. Ainsi de Jan van Roome (la tapisserie de la Rédemption au Metropolitan Museum de New York ; la tapisserie de la Glorification de Charles VIII aux Cloisters où le nom figure sur les chausses d'un jeune page), de Léonard Knoest (son nom figure sur la plateforme au centre de L'Invention de la Croix à Bruxelles).

Dans La Chasse à la licorne, au moins une inscription, lisible mais difficile à déchiffrer, laisse à penser que le peintre pouvait se prénommer Jean ou Johannes : sur le cor d'un gentilhomme dans le seconde tapisserie : peuvent se lire de droite à gauche les lettres JONES..AN..ON…E (de FECIT ?).

Que lire sur ce cor ? De quel corps est-il le nom ? Quel Verbe s'y révèle tout en y étant celé ?

Pourtant, l'œil droit de ce chien, lui aussi dissimulé, nous prévient d'être attentifs, de bien déchiffrer le message !

 

le rébus

Perro (chien en espagnol) + réal (appartenant au roi ou à la reine donc royal) = Perréal. Dans cette dernière tapisserie, en bas à droite, à l'endroit même où l'on peut signer un contrat, une lettre ou une œuvre, l'artiste a dessiné un jeune homme de 13 ans environ. Il pourrait s'agir du 'dauphin'. Pour Howard Comeau, l'artiste présente à son mécène le fruit de son travail. Le jeune dauphin lui serre la main en signe de remerciement et de reconnaissance.

Ne voit-on pas des branches de laurier et de chêne 'couronnant' par le bas le 'perro réal' ? (Laurier, symbole du triomphe héroïque et de force éclatante signifiant que "l'or y est")

L'artiste qui vient d'achever son œuvre, peut faire siens les mots du poète Horace :

"J'ai achevé un monument plus durable que l'airain - exegi monumentum aere perennius."

"Melpomène (muse du chant, de l'harmonie musicale et de la tragédie quand elle est associée à Dionysos), accepte cet hommage bien mérité (pour m'avoir inspiré) et couronne-moi avec le laurier de Delphes (d'Apollon) - Sume superbiam quaesitam meritis et mihi Delphica lauro cinge volens, Melpomene, comam."

Martial a consacré à Sæva Mémor, autre poète latin, une épigramme à mettre au bas de son portrait :
Clarus fronde Jovis, hoineni fama cothurni,
Spirat Apellea redditus arte Memor.

Ceint d'une couronne immortelle,
Honneur du cothurne romain,
Mémor respire en ce tableau fidèle
Qu'un Apelle moderne a tracé de sa main.

Les mots clarus fronde Jovis font présumer que Mémor remporta la couronne de chêne, qui était alors un prix de poésie, et le distique entier permet de supposer que son portrait fut placé dans une bibliothèque publique.

http://www.sacra-moneta.com/Numismatique-romaine/Les-couronnes-civiques-sur-les-monnaies-romaines.html

http://www.cosmovisions.com/$Chene.htm

http://www.cosmovisions.com/$Laurier.htm

 

Exegi monumentum aere perennius

regalique situ pyramidum altius,

quod non imber edax, non Aquilo impotens

possit diruere aut innumerabilis

annorum series et fuga temporum.

Non omnis moriar multaque pars mei

vitabit Libitinam. Usque ego postera

crescam laude recens, dum Capitolium

scandet cum tacita virgine pontifex,

dicar, qua violens obstrepit Aufidus

et qua pauper aquae Daunus agrestium

regnavit populorum, ex humili potens,

princeps Aeolium carmen ad Italos

deduxisse modos. Sume superbiam

quaesitam meritis et mihi Delphica

lauro cinge volens, Melpomene, comam.

 

Horace, Odes III, 30

 

Le cartulaire de Hugues de Chalon (1220-1319) nomme deux Perréal.

Le 1er mars 1267 : « es Savillex, Loys, Martin, sun uncle, Jaquet et Perreal et lour mès, liquex doivent pour lour mès un giste à seignour chescun an. »

Le samedi 21 août 1305, un dénommé « Perriaus, sires de Riveigney, escuiers » fait savoir à tous qu’il est « entrez en l’omaige et en la feauté de noble monsignour Jeham de Chalon, signour d’Arlay ». Le texte de cet hommage le nomme ensuite « Perreal » et « Perrials ».

 

Emile Picot a rencontré à la Bibliothèque Nationale (fond Moreau, 892 fr. 414) les noms de trois Perréal, Jean, Claude et Guillaume, nés à Vellessin, près Montbenoist .

 

. Le cartulaire de Hugues de Chalon (1220-1319), Publications historiques et archéologiques de la Société d'Émulation du Jura, 1904, p. 108 et 213.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111494j.

.  Pierre Villey, Tableau chronologique des publications de Marot, Slatkine, 1973, p. 33.

 

Jacques Lacan, dans l'unique séance du 20 Novembre 1963 du séminaire interrompu, Le Nom du Père, énonce : " … mythiquement, le père ne peut être qu'un animal, le père primordial… " Sigmund Freud le nomme Totem. Lacan l'explique ainsi : " L'homme n'a pas tellement à être fier d'être le dernier venu de la création, celui qu'on a fait avec de la boue, ce qui n'est dit d'aucun être Il va se chercher des ancêtres honorables et nous en sommes encore là : il lui faut un ancêtre animal. " Il dit aussi qu'il faut " mettre au niveau du père la fonction du nom. Le nom, c'est cette marque, déjà ouverte à la lecture, c'est pour cela qu'elle se lira de même en toutes les langues, y est imprimé quelque chose, peut-être un sujet qui va parler. " Et plus loin : " …il y a dans le signifiant ce côté qui attend la lecture et que c'est à ce niveau que se situe le nom. "

Ainsi, ce chien, caché derrière la ramure - haie du cerf - roi, est comme l'Elohim qui parle à Moïse dans le buisson ardent : " Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Et il ajouta : C'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël : Celui qui s'appelle "je suis" m'a envoyé vers vous. " Exode 3:14. C'est-à-dire, traduit par les Septantes grecs, " l'étant ".

L'animot de Jacques Derrida. Chacun des éléments (des " termes ") de cette séquence dessinée puis tissée désigne des lettres et des sons 'masculins', qui composent Le Nom d'un homme : un chien, un cerf, " perro - réal ". Ou " pair - réal " (" je suis l'égal du roi ou de ses fils ") ou " père - réal " (" je suis fils de roi ou de reine "). En tous cas, il s'agit, me semble-t-il, de la recherche de l'origine biologique, d'avoir un pénis et d'être quelqu'un d'identique à son père. L'Idéal du Moi. " L'idéal du moi correspond à la façon dont le sujet doit se comporter pour répondre à l'attente de l'autorité " (Daniel Lagache).


Ce chien qui nous regarde à travers les bois du cerf est lui aussi un perro réal : le cerf est à cette époque le symbole royal. Jean Perréal allias Le Maître au chien assis à droite dépose trace de son nom, ainsi que le fit Taddeo di Bartolo (Taddeo Bartolo ou Taddeo Barto - 1363 -1422) dans son Triptyque de l'Assomption de la Vierge de 1401 (Duomo de Santa Maria dell'Assunta de Montepulciano - province de Sienne) où "Saint Thaddeus" nous regarde, un autoportrait probable de Taddeo, l'un des tout premiers autoportraits à être parvenus jusqu'à nous, Filippino Lippi, dans une fresque de la Cappella Brancacci (1481-1482) de l'église Santa Maria del Carmine de Florence, Sandro Botticelli dans l'Adoration des mages de 1481-1482 (Florence, Galerie des Offices) et Albrecht Dürer dans La Fête du Rosaire de 1506 (Prague, Nàrodni Galerie), à droite du tableau, comme une signature à l'ultime du texte dans une écriture occidentale, l'autoportrait - 'figure de bord' selon l'expression du critique Louis Marin (De la représentation, Gallimard - Le Seuil, 1994), qui parachève l'œuvre et clôt le chemin du regard.

1359 : premier autoportrait authentique caché : celui d'Andrea Orcagna (Andrea di Cione), dans le tabernacle ciborium en marbre, incrusté de mosaïque d'or et de lapis-lazuli, de San Michele in Orto, Saint-Michel-au-jardin, à Florence.

Mais où se cachent les Français ? Où es-tu Jean Bourdichon ? Où es-tu Jean Perréal ? Et les autres ? Où, sinon, sur les bords, animaux ou humains ? Animaux ! Déjà "derridiens" ! "Ani-mots"... Sur les bords de l'image, zones " parergonales ", selon le terme de Jacques Derrida… (le parergon : le cadre, ou tout ce qui fonctionne comme encadrement de l'œuvre d'art).

http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0601301217.html

 

" Il serait lui-même dans le tableau, à la manière des peintres de la Renaissance qui se réservaient toujours une place minuscule […] mais une place apparemment inoffensive, comme si cela avait été fait comme ça, en passant, un peu par hasard […], comme si cela ne devait être qu'une signature pour initiés […]. À peine le peintre mort, cela deviendrait une anecdote qui se transmettrait de génération en génération […] jusqu'à ce que, un jour, on en redécouvre la preuve, grâce à des recoupements de fortune, ou en comparant le tableau avec des esquisses préparatoires retrouvées dans les greniers d'un musée […] et peut-être alors se rendrait-on compte de ce qu'il y avait toujours eu de particulier dans ce petit personnage […] quelque chose qui ressemblerait à de la compréhension, à une certaine douceur, à une joie peut-être teintée de nostalgie."

Georges Perec, La Vie mode d'emploi, Hachette, 1978, prix Médicis

 

le jeu de mots

Dans chacune de ces trois séquences, le peintre s'est " représenté " deux fois :

 — Le pèlerin (portant le bourdon ; en deçà de la rivière, comme étranger aux scènes représentées) : Perréal Jehan = Perréali(ea)n (les lettres extrêmes du prénom Jehan qui s'écrivait iehan où le i se lisait j) = Perréalin, mot proche phonétiquement de pèlerin avec inversion des consonnes liquides [r] et [l]. Chacun d'entre nous est, comme pèlerin, toujours " à la quête ".

" L'artiste a cheminé longtemps ; il a erré par les voies fausses et les chemins douteux ; mais sa joie éclate enfin ! Le ruisseau d'eau vive coule à ses pieds ; il sourd, en bouillonnant, du vieux chêne creux… il regarde ondoyer la source limpide dont la vertu dissolvante et l'essence volatile lui sont attestées par un oiseau perché sur l'arbre… Mais quelle est cette Fontaine occulte ? " Fulcanelli, Le Mystère des Cathédrales et l'interprétation ésotérique des symboles hermétiques du grand œuvre, Fayard, 1925.

Ce pèlerin marchant pourrait être un surgeon de Perceval (celui qui 'perce le mystère du val' au fond duquel se cache le château du Graal) : celui qui traverse la vallée et le fleuve (perce - val), qui passe sur l'autre rive (le héros alchimique), qui passe le pont (le verbe grec perô signifie traverser) pour rejoindre le roi et la reine réunis, pour atteindre la vérité de l'au-delà, le mercure alchimique ou la pierre philosophale). Il porte trois costumes différents pour marquer qu'il est un homme nouveau après chaque étape.

Songeons à l'ouvrage Les Noces chymiques de Christian Rosencreutz en l'an 1459, de l'auteur Johann Valentin Andreae, paru en allemand en 1616 à Strasbourg, bien postérieur donc à nos tapisseries, qui présente des noces alchimiques et mystiques. Antoine Faivre (Accès à l'ésotérisme occidental, T.1, Gallimard, 1986 et 1996) en parle ainsi pages 202-203 : " Sous le voile éclairant du symbole, elles décrivent les processus de la montée de l'âme vers Dieu. On trouve presque à chaque page des références au Grand Œuvre spirituel. Ainsi, lors de la cinquième journées, les six bateaux commencent leur pèlerinage marin, qui rappelle l'Odyssée, ou encore Pantagruel en route pour les îles enchantées. C'est que l'eau, souvent symbole du Mercure, figure la dissolution ; nombreuses, dans les thèmes et les illustrations alchimiques, sont les représentations de bateaux voguant sur une mer agitée, ou d'îles entourées de fossés remplis d'eau qu'il s'agit de traverser comme tentent de le faire les adeptes des Noces […] Mais au-delà des représentations imagées, il y a les étapes, les processus, du pèlerinage de l'âme. Pèlerinage en effet, puisque l'adepte, qui sait où il veut aller, cherche à retrouver le lieu où l'âme s'unit à son Dieu […]

" L'ouvrage se présente sous la forme d'un septénaire qui figure assez distinctement les opérations traditionnelles du Grand Œuvre. L'action décrit ainsi en sept actes - les 'journées' - les sept paliers de la transmutation alchimique. Avant la réalisation finale, une épreuve particulièrement pénible attend l'adepte, qui doit assister à la décapitation des personnes royales. Mais ensuite apparaît le phénix, symbole de la résurrection ; son œuf est découpé par un diamant, son sang ressuscite le couple royal dont les noces conféreront à Christian le titre de Chevalier de la pierre d'or. Te1 est le but final du périple, l'ensemble des sept paliers représentant le pèlerinage lui-même. " Cette pérégrination dans Les Noces chymiques suit les phases successives bien connues de l'alchimiste : de la Nigredo à la Rubedo via l'Albedo.

Ce pèlerinage est un " voyage intérieur dont la description emprunte à l'alchimie traditionnelle sa structure et son symbolisme. Le livre nous invite à descendre en nous-mêmes en nous transformant. " (p.205)

Ce texte d'Antoine Faivre pourrait être dans ses grandes lignes la description de La Chasse à la licorne. C'est ainsi que je regarde la 'marche en avant' énergique de celui que je nomme 'le Pèlerin' dans le silence, la sérénité, la concentration et la détermination. Symboliquement, il côtoie bien des épreuves, rencontre la mort et parvient enfin devant la Reine et le Roi unis comme en des Noces.

 

Accompagné de son chien dressé, il est à rapproché d'une figure du Tarot : Le Mat (ou Le Fou), carte qui évolue librement dans la structure du Tarot, mais aussi en dehors de cette structure. En alchimie, Le Mat est le Mercure, la Matière Première ; et le Fou et le Sage, artisans de l'Œuvre comme le pèlerin, se confondent.

Le chien : le prénom d'Anne de Bretagne, ou peut-être celui d'Anne de France (Dame de Beaujeu, régente), possibles commanditaires de la tenture, se lit sur les colliers de certains chiens par les deux lettres extrêmes A-E. Chaque chien ainsi nommé peut être un perro - réal (soit Perréal). Seuls ces chiens qui côtoient notre pèlerin portent des colliers où peut se reconnaître une coquille Saint-Jacques, attribut du pèlerin.

 

De 1483 (première apparition de son nom, Jean de Paris, en Avril à Lyon) aux années 1491-1497, il est un peintre qui s'affirme et que l'on emploie dans les entourages royaux et princiers (Louis XI, cardinal Charles de Bourbon, la reine Charlotte de Savoie, la jeune Marguerite d'Autriche). Avec Charles VIII, il est nommé peintre de Cour en 1497. Il n'est encore que Jehan de Paris.

A son retour d'Italie fin 1499, il devient valet de chambre de la reine qui le prend sous sa protection. Et c'est alors, pensons-nous, que la reine Anne de Bretagne va le révéler à lui-même et lui indiquer la voie de l'artiste exceptionnel qu'il deviendra et qu'Howard et moi voulons 'ressusciter'.

L'étude attentive des tapisseries de La Chasse à la licorne le démontrera peut-être.

Dans la tapisserie 2 (La fontaine) : aucun chien ne porte les lettres 'A' et '3' de 'ANNE' ; le pèlerin n'est pas encore en marche, en quête, de ce côté-ci de la rivière (occupé par des animaux aux dents montrées qui représentent peut-être les ennemis de la France d'alors). L'artiste est certes célèbre, mais il ne s'est pas encore fait un nom…

Dans la tapisserie 3 (La traversée de la rivière) : les lettres 'A' et '3' apparaissent sur certains colliers. A l'extrême gauche, un homme nous paraît détacher, libérer le chien dont le collier porte les deux lettres. Nous voulons y lire le message suivant : Anne de Bretagne (dont la corde au profil noué signifie peut-être la 'cordelière') encourage l'artiste à devenir chaque jour dans sa vie d'homme et de créateur 'le pèlerin de la Jérusalem Céleste'. En l'éduquant, elle lui trouve (peut-être) un nouveau nom : 'Perro Réal'. Baptême au seuil d'une nouvelle vie. Il part, accompagné de deux chiens libérés dont l'un porte un collier aux lettres 'A' et '3'.

Dans la tapisserie 4 (La licorne se défend) : l'artiste chemine, tout à sa quête intérieure, ne regardant pas les événements qui se déroulent de l'autre côté de la rivière et auxquels il ne participe pas. A l'extrême gauche, un chasseur souffle dans son cor : l'étui de son épée porte l'expression 'AVE REGINA C', invocation à la Vierge Marie, Reine des Cieux. Le collier du chien juste devant lui, au même niveau de lecture horizontale, porte l'inscription que Margaret Freeman lit ainsi : 'OFANCRERE'. Nous la déchiffrons ainsi : 'Ô FRANCORUM REGINA', adresse à Anne de Bretagne, reine de France, revêtant ainsi la reine d'une gloire divine.

Dans la tapisserie 5 (tronquée) : nous ne saurons jamais où se trouvait notre pèlerin, mais ne doutons pas de sa présence.

Dans la tapisserie 6 (La mort de la licorne) : l'artiste semble parvenu au terme de sa quête intérieure, de son Grand Œuvre ; en tout cas de son œuvre picturale. Il est face à la reine et au roi accolés et il est aussi ce chien que le dauphin remercie et salue.

 

La légende prétend que sous la corne de la licorne se trouve une pierre précieuse, l'escarboucle.

La pierre réale = la Pierre Philosophale

Le mystère de la corne, essence de la licorne, a été assimilé par les alchimistes, aux propriétés générales de leur Pierre qu'ils nomment "escarboucle".

La "pierre royale" peut se lire Perréal, alchimiste à ses heures. La Licorne morte a la corne coupée et sa pierre recueillie se veut la signature "alchimique" du peintre Perréal.

Peut-on la voir au pommeau de l'épée du pèlerin et à celui du dauphin, cadeau de l'artiste ?

— L'escarboucle (du latin carbunculus = petit charbon, sous-entendu charbon ardent, rougeoyant) est l'ancien nom du rubis.

— Selon les légendes médiévales, l'escarboucle serait la pierre portée au milieu du front par les dragons et les vouivres.

En héraldique, les rais d'escarboucle représentent le rayonnement de cette pierre incandescente qui aurait peut-être, dans un temps très lointain, occupée le centre des boucliers, umbo, l'ombilic. (par exemple : les armes du roi de Navarre, De gueules, aux rais d'escarboucle d'or)

-— Symbolisme chrétien du chiffre 8 :
8 est en tout premier lieu la totalité de l'homme ( sept + Un ). Le Christ manifeste cette symbolique quand Dieu le Fils ( " 2 " ) assume son humanité en Jésus ( " 2 x 4 " ). http://catholiquedu.free.fr/code_secret/alefbetlettre8rhet.htm

 

 

3- Ses trois "signatures" possibles dans La Dame à la licorne

"Car il y a toujours un chien, au coin des bonnes peintures, apposé comme un seing."

Sandrine Willems, La Dame et la Licorne, Les Impressions nouvelles, 2001.

le rébus

Perro + réal = Perréal

(regardons le regard quasi amoureux du chien du Goût levé vers Mary et l'œil voilé d'un poil-larme de celui du Toucher (La Tente) qui nous fixe à l'instant du départ de Mary de Calais pour l'Angleterre). Par sa présence redoublée aux pieds de Mary, ce chien exprime sa fidélité à cette reine éphémère car non faite mère par Louis XII.

Le chien, l'animal le plus domestiqué par l'être humain et qui s'est le plus adapté à cette domestication, est aussi un animal psychopompe. Ses avatars sont Anubis, le dieu à tête de chacal des Egyptiens présidant à l'embaumement qui rend le défunt immortel ; Cerbère, le chien à trois têtes de la mythologie grecque ; le chien enterré auprès de son maître et de son cheval ou les deux chiens ensevelis près de la mère et de son enfant tous deux morts au cours de l'accouchement, dans l'ancienne société mongole. Ce " perro " que choisit Jehan de Paris pour s'identifier réellement rappelle cette " petrus christus " ou " pierre christique " soit Jésus Christ dont l'une des fonctions est d'être gardien des âmes qu'un peintre flamand du XVe siècle s'est attribué selon moi.

Ce " perro "serait aussi trace d'un sentiment religieux fort tout à fait compréhensible à cette époque.

 

L'abréviation

En paléographie, un P dont la barre descendante est croisée par un trait horizontal se lit « per ». C’est bien cette figure que l’artiste représente en fin d’inscription. Il signe ainsi ouvertement son œuvre, au fronton de la tente de la dernière tapisserie des Cinq Sens, à l'extrême droite de la "devise". Aux yeux de toutes et de tous, sans que personne s’en aperçoive.

La présence proche d'une reine-douairère et d'une couronne royale permet-elle d'écrire le rébus : Per + réal = Perréal ?

 

Ensemble de signes diacritiques sous (barre) et sur (tilde) certaines lettres : a, d, e, o, p, q, u.

p avec le pied barré : pour les syllabes « par » (parfaire) et « per » (perpetuelle)

 

Compte-rendu du Camp du Drap d’or de juin 1520

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7300170m

 

Deux kilomètres plus loin, nous avons atteint le sanctuaire où les chercheurs de sel hopi taillent leurs emblèmes de clan dans les rochers. Génération sur génération, nos ancêtres avaient été chercher le sel et il y avait centaines d'emblèmes de clan, taillés dans la base rocheuse du sanctuaire. Chaque voyageur, à chaque voyage successif, avait taillé un autre symbole à la gauche du précédent. Mon père avait taillé onze dunes de sable au cours de sa vie et Talasvuyauoma avait taillé dix têtes de coyote. J'ai choisi une surface lisse, tout près et j'ai taillé mon symbole du Soleil, en y ajoutant mes initiales, mais cela, je l'ai tenu secret, de peur que mes compagnons s'y opposent (parce que c'était moderne).

 

Don C. Talayesva, Soleil hopi, Plon, 1959, p. 253.

 

 

Jehan Marot, tête nue, un genou à terre, remet son exemplaire

du Voyage de Gennes à Anne de Bretagne.

 

Ce " perro-réal ", je ne vois plus que lui, au centre de l'espace vide et carrelé, en pleine lumière, face à la lumière, tournant le dos à toute la scène, à sa reine et ses dames et demoiselles d'honneur, aux hommes présents chargés d'offices. Sagement assis sur un carreau noir. Chien et son ombre oblique, signature et son arabesque caudale. Comment, en ce début de siècle seizième, signer autrement cette enluminure (que les critiques donnent soit à Jean Perréal, soit à Jean Bourdichon) qui introduit la Relation en vers meslés de prose, dediée à la reine Anne de Bretaigne, de la magnanine victoire du roy treschrestien Louis XIIe, par luy obtenue en l'an mil cinq cens et sept, au moys de may, contre les Genevoys ses rebelles… ainsy que je l'ay continuellement veu suyvant son exercice, tant à l'exploict que apres jusques à son retour, par Jehan Desmarets. Pour le dire plus simplement, Le Voyage de Gênes par Jean Marot, que son fils Clément édita pour la première fois en 1532.

 Sophie Cassagnes-Brouquet, dans son très beau livre Un manuscrit d'Anne de Bretagne, Les Vies des femmes célèbres d'Antoine Dufour de 1504, enluminé par Jean Pichore en 1506 (Editions Ouest-France, 2007) le donne à Jean Bourdichon, que rejoindront en 1508 les Grandes Heures d'Anne de Bretagne (selon un document donné à "Bloys le XIII jour de mars, l'an de grâce mil cinq cens et sept") et les Epîtres des poètes royaux en 1510.

 

Vais-je, allez-vous me rétorquer à juste titre, attribuer toutes les œuvres " à chien " à Jean Perréal ? Vous avez raison, prudence !

 Jean Perréal était lui aussi dans les fourgons de l'expédition punitive. Des scènes de bataille qu'il était, est-il écrit, expert à représenter, il en fut le témoin oculaire. Ainsi, peut-être, celle-ci que Jean Marot, dont l'esprit patriotique se gauchit parfois d'une teinte partisane, rapporte en chroniqueur attentif et précis :

Cincq jours après le roy se mist aux champs,

Vint à Millan, où il fist son entrée.

Les Millannoys, tant nobles que marchans,

Au devant vindrent en triumphe marchans…

 

Près de la porte y avoit une hystoire

Décorée de riches personnages,

Qui demonstroit de Genes la victoire

Et aultres dont je lesse le memoire,

Craignant estre prolix en mes langages.

 

Jean Marot, Le Voyage de Gênes

 

 

Ainsi vestu, luysant comme cristal,

Sur ung courcier blanc caparassonné,

Entre à Millan ; lors sembloit Hannibal

Ou Alexandre estant sur Bucifal,

En son trumphe eureux et fortuné

 

Jean Marot, Le Voyage de Venise

 

 

Jean Bourdichon, L'Entrée de Louis XII à Gênes, Illustration du Voyage de Gênes de Jean Marot, BnF, Ms. fr. 5091, f° 22 v°

 

S'y lit un écho tardif des chansons des gestes, de la poésie épique et chevaleresque du Moyen Âge, que La Dame reprend, elle aussi, à sa façon.

Est-ce lui que l'on a dépêché à Milan, avant l'arrivée de Louis XII pour y préparer une " entrée " ?

Nicole Hochner, "Le Trône vacant du roi Louis XII. Significations politiques de la mise en scène royale en Milanais", dans P. Contamine, J. Guillaume (éd.), Louis XII en Milanais. XLIe colloque international d'études humanistes, 30 juin-3 juillet 1998, Paris, Champion, 2003, pp. 227-244. Article édité en ligne sur Cour de France.fr le 1er mai 2008.

http://cour-de-france.fr/squelettes-dist/art/HochnerTroneVacant.pdf

 

Jean Bourdichon, Illustration du Voyage de Gênes de Jean Marot, BnF, Ms. fr. 5091, f° 15 v°

 

Lors de l'expédition de Gênes en 1507, Louis XII abandonna l'emblème du porc-épic pour une ruche et des abeilles, avec la sentence : "Non utitur aculeo rex cui paremus" (le roi auquel nous obéissons n'a pas besoin d'aiguillon). Symbole de clémence et de consensus.

 

Le propre jour, Loys Douziesme Roy,

Du plus matin, fist marcher son charroy,

Partout prevoit, mect ordre en son affaire,

Comme celluy qui telz actes scet faire.

Avant-garde, bataille, ariere-garde

Il revisite et de tout se prent garde.

Parmy l'ost faict crier que nul vivant

Soit si hardy de marcher en avant

Avec le train de son artillerie,

Touchant le faict de sa gendarmerie,

Conseille, enhorte et tel ordre leur baille

Qu'oncques Cesar ne fist mieulx en Thessalle.

Apres avoir, ainsi que ung Charlemaigne,

Revisité l'excercite qu'il maine,

Fiffres, tabours, trompes, cors et clerons

A faict sonner. Lors, grans coups d'esperons

Donnent de hait chevaliers et vassaulx,

Qu'ilz n'actendoient fors les mortelz assaulx.

Pouldres volloient, pannunceaulx et enseignes

Luysent au vent par vaulx et par montaignes.

Aventuriers Gascons, Normans, Picars,

Garnis de traitz, picques, voulges et dars,

Marchent avant et leur tarde beaucoup

Qu'ilz n'y sont ja pour mieulx faire leur coup.

En ordre tel, tel triumphe et honneur

Marchoit le champ du souverain Seigneur.

Par tous moyens cherchent de rencontrer

Venitiens pour sa vertu monstrer.

 

Jean Marot, Le Voyage de Venise

 

Jean de Paris, Peintre et valet de chambre des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier, Documents sur les travaux de cet artiste pour la ville de Lyon (1483-1525). Extraits des Archives communales de la ville de Lyon, et annotés par M. F. ROLLE, archiviste adjoint du département du Rhône. Dans Archives de l'Art français. Recueil de documents inédits relatifs à l'Histoire des Arts en France publié sous la direction de M. Anatole de Montaiglon, Paris, 1861.
http://warburg.sas.ac.uk/pdf/cbh10b2898650M.pdf (p. 15-142 + p. 470-473)

 

Et si le faucon zénithal était un faucon pèlerin et que je persistais à utiliser " le langage des oiseaux " : l'oiseau ne pourrait-il pas être notre artiste lui-même, grand " chasseur " de proies féminines : une pie, des héronnes, une faisane, une perdrix…?

 

 

 

 

Mon ami étatsunien, le génial Howard Comeau, ne m'en voudra pas si je révèle ici une de ses découvertes : notre peintre a-t-il voulu rendre hommage à Léonard de Vinci dans la tapisserie La Fontaine de La Chasse à la licorne (dont il est aussi, pensons-nous tous deux, l'auteur) dans un rébus : Léo + nardo (le nard est peut-être, parmi des œillets, cette plante aux feuilles pointues dont est entouré le lion, 'figure de bord' en bas à gauche) accompagné de La Joconde sous les traits impassibles de la lionne sagement assise et nous regardant ?

 

Et, situé juste derrière ce lion, ne serait-ce pas Jean Perréal lui-même ce chien dont le regard semble vouloir lire dans la pensée même du maître italien ou bien encore participer à son regard à la recherche de la vérité ?

 

A l'imitation de 'l'élève enseigné' (en symétrie par rapport à la fontaine, en haut à droite) dont le regard suit la même direction que celui du 'maître enseignant' au doigt levé juste devant lui.

 

Ce qui va peut-être obliger à revoir la date de création (1503 pour La Joconde) de l'une ou l'autre de ces deux œuvres d'art.

 

 

Faut-il reconnaître (outre Mona Lisa) dans la lionne qui se tient coite près du lion, le sieur Legonissa (nom à rapprocher du féminin leonesse que le dictionnaire Littré signale dans le vers 521 de la Vie de saint Auban du 13è siècle :

 

" Plus est chescuns esmuz ke n'est, quant est bersée [frappée d'un trait] Leonesse, u saerpent quant el se sent blescée. "

 

Dans son traité Opus christianissimum seu Davidicum (BN, ms. lat. 5971 A) offert à Charles VIII, tout en soulignant les origines divines de la fleur de lys, le frère mendiant italien, Giovanni Angelo Terzone de Legonissa, établissait la descendance directe des rois de France avec les patriarches bibliques d'Israël, plus particulièrement avec David.

 

Ce texte au ton eschatologique assimilait ainsi la France au nouveau royaume élu de Dieu. Charles VIII pouvait donc revendiquer la totalité de l'héritage davidique y compris la Terre Sainte et le royaume de Naples. Legonissa le désignait pour porter la couronne spirituelle et temporelle, reformer l'Eglise puis délivrer Jérusalem et Constantinople des Infidèles. Dès lors, son règne serait universel et l'amènerait à dominer les trois parties du monde.

 

Menacé de l'oubli, Jean Perréal renaîtrait-il de ses cendres ? A-t-il échappé à ce que Giorgio Vasari nommait oblivione, l'oubli, fils de la voracità del tempo, qui l'obligea à écrire et faire paraître en 1550 Les Vies ?

 

" Car la voracité du temps est évidente : non content d'avoir rongé les œuvres mêmes et les témoignages honorifiques d'un grand nombre d'artistes, il a effacé et éteint les noms de tous ceux dont le souvenir avait été préservé par autre chose que la piété impérissable des écrivains. … J'ai constaté que des noms des nombreux architectes, sculpteurs et peintres anciens et modernes, avec quantité de leurs chefs-d'œuvre, sont en diverses régions d'Italie voués à l'oubli, et s'évanouissent peu à peu, condamnés à une sorte de mort prochaine. "

 

Il aurait fallu pour la France un Vasari qui sauvât la " trace " de tous les artistes contemporains de nos tapisseries.

 

" Cette situation nous désarme. Elle nous contraint, soit à nous taire sur un aspect pourtant essentiel des images de l'art, par peur de dire quelque chose qui serait invérifiable (et c'est ainsi que l'historien s'oblige souvent à ne dire que de très vérifiables banalités), soit à imaginer et à prendre le risque, en dernier recours, de l'invérifiable. " Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Editions de Minuit, 1990

 

 

D'Élie Faure, au sujet des peintures (portraits peints) au XVe siècle :

 

" Elles sont souvent anonymes encore, comme si la France tentait de résister le plus longtemps possible à l'individualisme tentateur que lui enseigne l'Italie. Belles mains calmement posées, visages amusés, tendres yeux, bouches malicieuses, les vieux imagiers et les vieux conteurs psychologues se prolongent là dedans, comme ils se retrouveront à travers les moralistes jusqu'aux nouvelles de Voltaire.

C'est à coup sûr, par l'ingénuité, la malice et la pénétration mêlées, le plus haut moment du portrait français, qui est le premier entre tous par la valeur psychologique et qui présente, en ces deux siècles de souffrance, d'attention et de conquête, de Malouel à Lagneau, avec Fouquet, Colin d'Amiens, les Avignonnais. Perréal, les Clouet, Corneille de Lyon, dix inconnus, une continuité sans défaillance.

Mais dans le flot montant de l'italianisme, ce sont des voix perdues pour le contemporain. Le maître de Moulins, qui s'appelait peut-être Jean Perréal, cache dans ses tableaux d'église ses fines figures françaises, ses purs visages d'enfants, une magnifique douceur qui s'épanche avec discrétion comme si elle craignait de froisser les goûts de cour et les modes nouvelles.

Quant aux Clouet, ils ont beau détenir le privilège presque exclusif de reproduire les traits des rois, des reines, des princes, des grands vassaux, leur importance, au fond, est mince à la Cour des derniers Valois. "

(Histoire de l'art, l'art renaissant, Denoël, 1976, pp.296-7)

4- Hypothèse :

 

" La fonction première du nom propre est sexuelle ; il sert à symboliser le phallus : le garçon qui prend le nom de son père peut prétendre posséder la puissance phallique au même titre que lui. "

Gérard Pommier, L'Ordre sexuel, Aubier, 1989

 

" Etre mort, signifie au moins ceci qu'aucun maléfice ou bénéfice, calculé ou non, ne revient plus au porteur du nom mais seulement au nom, en quoi le nom, qui n'est pas le porteur, est toujours a priori un nom de mort. Ce qui revient au nom ne revient jamais à du vivant, rien ne revient à du vivant. "

Jacques Derrida, Otobiographies. L'enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre, 1984, Paris, Galilée, p. 44

 

Dans un long poème vantant son employeur Federigo da Montefeltro, duc d'Urbino, Giovanni Santi, le père de Raphaël, liste les grands maîtres de la peinture de son époque :

 

Nela cui arte splendida e gentile

Net secul nostro tanti chiar son stati

Che ciescuno altro far paren pon vile.

A Brugia fu fra gli altri piú lodati

El gran Joannes : el discepul Rugiero

Cum tanti d'excellentia chiar dotati…

 

Dans cet art splendide et noble,

Ils sont si nombreux, à notre siècle, à s'être rendus célèbres,

Que toute autre époque en paraît stérile.

A Bruges, les plus loués furent

Le grand Jan et son élève Rogier,

Ainsi que de nombreux autres, doués d'excellence…

 

Il est à remarquer que les deux peintres brugeois — Jan Van Eyck et Rogier de la Pasture ou Rogier van der Weyden — ne sont désignés que par leurs prénoms. Soit Joannes de Brugia et Rugiero de Brugia. Pourquoi pas Jehan de Paris ?

 

Résumons, en nous emparant de la problématique derridienne, celle de la signature et du nom propre. Le nom caché, tu, oblitéré, non pas nié ou tué, mais dissimulé selon l'usage de ce temps. Le nom inventé, sur le tas, sur le tard. Le nom fragmenté de diverses manières ludiques, comme le fait un jeune chien de son corps et de sa voix jouant libre dans l'espace. Le nom chosifié et énigmatique que cèle et révèle tout à la fois le rébus, ou la barre de l'écriture sténographique ancienne. Le nom animalisé, à l'égal de celui de l'ami des hommes, des Grands et des sujets. Le nom du chasseur de gibier. Le nom du marcheur vers son destin d'Homme. Un nom par lequel il veut s'apparenter au Plus Grand, Dieu, via son lieutenant sur terre, le Roi. " Dieu est le nom, le meilleur, pour cette dernière instance et cette ultime signature. " Toujours Jacques Derrida, page 27. Le nom enfin qui ne sera lu et prononcé qu'après la mort de celui qui le créa et le porta, l'artiste. Jehan Perréal de Paris.

 

— " Perréal porta toujours le sobriquet de Jean de Paris, un sobriquet qui court les rues à la fin du XVe siècle. " René de Maulde de la Clavière

 

— Le sceau de Jean Perréal, plaqué sur papier et cire rouge, porte l'empreinte d'une petite intaille antique, ovale, à figure nue.

 

— Pierre Pradel distingue deux "Jehan de Paris". Il différencie "le peintre Jean de Paris installé à Lyon — qui un jour arborera le nom de Perréal — du Jean de Paris, fourrier de Pierre de Beaujeu..." (p. 134) "Ce n'est pas le même homme qui, à quelques années de distance, put émettre les deux signatures. Nous avons d'une part l'officier des Beaujeu signant D Paris avec un J traversant le D ; et, d'autre part, l'authentique griffe de Perréal dont l'initiale est un véritable entrelacs, où l'on peut retrouver les trois lettres J D et P ; de plus le dessin des lettres " aris " n'est pas le même ici et là ; enfin,la première signature est encadrée et soulignée de paraphes graciles et nerveux, tandis que les documents lyonnais présentent un tracé gras, étudié, sans bavures, bref une authentique signature de décorateur, suivie, comme pour accuser son caractère artistique, de la combinaison savante des trois cercles. " (p. 135)

(Pierre Pradel, "Les autographes de Jean Perréal", Bibliothèque de l'école des chartes,1963, tome 121, p. 132-186.)

 

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1963_num_121_1_449654

 

 

 

Signature de Jehan de Paris
fourrier de Pierre de Beaujeu - 1487
BnF, ms. fr. 20 490, fol. 61

Un J traverse le D de De

Lettre de Jehan de Paris / Jean Perréal
à François de Gonzague
1489 - Archivio di Stato - Mantoue

 

Signature de Jehan de Paris / Jean Perréal - 1490
Archives municipales de Lyon,
CC511, n° 49

Un J traverse le P de Paris

 

— " La signature est d'écriture nette, élégante, d'expression ferme et volontaire, sans pleins ni traits, tout unie ; une signature d'aristocrate et de lettré. " (René de Maulde de la Clavière (1848-1902), Jean Perréal dit Jean de Paris, peintre de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier, Paris, E. Leroux, 1896, p. 9)

— "La plus ancienne signature de l'artiste que nous connaissions est conservée aux Archives municipales de Lyon, au bas d'une quittance de travaux relatifs à l'entrée de Charles VIII dans la ville, datée du 23 février 1490. La mise en scène lui a été confiée avec l'aide d'une quinzaine d'artistes dont Jean Prévost (peintre verrier), Jean de Saint-Priest (sculpteur), Simon de Phares (astrologue). Dans le libellé, Jean de Paris s'intitule « peintre de Lion » ; sa signature est suivie d'une combinaison graphique assez adroite faite de trois anneaux entrelacés. Signature et dessin se retrouvent dans le même fonds, au terme d'un compte du 26 avril suivant relatif au même événement et sur une quittance du 4 février 1493 donnée par « Jean de Paris peintre habitant de Lyon », pour l'aménagement décoratif de l'entrée du pont de Saône." (Pierre Pradel, "Les autographes de Jean Perréal", p. 133)

— En 1494, Léonard de Vinci l'appelle Gian di Paris.

— Le 22 septembre 1495, Charles VIII aux échevins de Lyon : " Nous voulons et mendons que Jehan Perreal, notre valet de chambre que bien cognoissez, doyt être franc, quitte et exempt de toutes tailles et subsides. "
(Etienne Bancel, Jehan Perréal dit Jehan de Paris, peintre et valet de chambre des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier : Recherches sur sa vie et son œuvre, Paris, H. Launette, 1885.)
http://www.archive.org/stream/jehanperralditj00bancgoog/jehanperralditj00bancgoog_djvu.txt

— Le 1er octobre 1498, Charles VIII décide : " A Jehan de Paris, valet de chambre et peintre ordinaire du roi, la somme de 240 livres tournois à luy ordonné pour icelluy seigneur par son estat dont cy devant est faicte mention. "

— En 1503, Jean Lemaire de Belges le nomme Jehan de Paris.

— Dans une lettre adressée à Marguerite d'Autriche, datée de Lyon, le 9 Novembre 1509, tout au début de l'affaire de Brou, Perréal signe, ainsi que dans les six lettres suivantes, " De vostre tres humble et tres obeissant serviteur, Jehan Perréal de Paris, paintre du Roy " et non plus comme avant " Jean de Paris " ou " Jehan de Paris ". Pierre Pradel signale dans son étude Les autographes de Jean Perréal (in Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1963, tome 121, pp. 132-186) : " C'est d'ailleurs, à notre connaissance, au cours de cette période 1509-1511 qu'apparaît dans les textes le patronyme de l'artiste. " Et dans une note en bas de la page 147, il ajoute : " Notamment dans les écrits de Lemaire de Belges : " vir præclarus Johannes Perrealis cubicularius regius " (lettre à Corneille Agrippa, datée de Dôle, 1509) ; " maistre Jean de Perréal de Paris " (Légende énitiens, même date).
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1963_num_121_1_449654

— Dans ses lettres à Marguerite d'Autriche, Jean Perréal se donne deux noms :
Le 1er décembre 1511. " A Lyon ce premier jour de décembre. De vostre très humble et obéissent serviteur, Jehan Perréal de Paris, vostre paintre."
Le 17 octobre 1512. " A Bloy, ce xvne d'octobre. De vostre très humble et très obéissent serviteur, Jehan de Paris, p[aintre] d[e] M[a]d[ame]. "
Mais " Jehan Perréal de Paris " revient le plus souvent.

— En 1529 : " Deu par la vefve du contrerolleur Jehan de Paris, pour la rançon du roi François 1er, VIII livres VI sols VIII deniers. " (Archives du Rhône)


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Un peintre nommé Jehan de Paris ne peut-il pas s'être créé un nom qui le singularise et l'immortalise ? Création à partir de cette "signature canine et hispanisante". A l'image d'un Petrus Christus qui, chaque fois qu'il signait ses œuvres de son nom (qui sent le 'fabriqué') écrivait cette phrase : 'le Christ est la Pierre Philosophale' ! (il y aurait certainement à lire certains de ses tableaux dans cette optique-là).

Pour lire la partie de ce site consacrée à Petrus Christus : cliquer sur ce lien

Ou de Lucas Cranach l'Ancien : né à Kronach vers 1472, il s'appelait en réalité Lucas Sunder ou Müller et il prendra le nom de sa ville natale plus tard. Il a probablement fait son apprentissage dans l'atelier de son père ; mais sa formation ultérieure nous est inconnue et on ne sait pas où il a voyagé jusqu'en 1500 où il est à Vienne. Le même parcours est possible pour Jean Perréal.

Le peintre Lucas Krug ou Kruger du 15ème siècle est connu sous le nom de Maître à la cruche car il signait ses œuvres par le dessin d'une cruche (Krug en allemand).

Zuberlin, un peintre du 16ème siècle, signait ses œuvres de son monogramme suivi d'une cuve (Zuber ou Zuberline en allemand). Campanella pouvait laisser son nom dans une petite cloche (campanella en italien).

Une formule maçonnique : " répandre la lumière et rassembler ce qui est épars " comme le fait La Chasse à la licorne encyclopédique c'est " retrouver la Parole Perdue " qui est " n'est autre, pour les adeptes, que le véritable nom du " Grand Architecte de l'Univers ". Jean Père-Réal ou Pierre-Réale, Petrus Christus.

Il me semble que Jehan de Paris n'a pas créé son nouveau nom (Perréal) avec une intention sacrée : magique ou religieuse (le baptême chrétien rappelle comment opéraient les Antiques en sollicitant l'accord des dieux pour l'octroi du nom dans un souci de réincarnation). S'il n'est pas 'parental' (sauf si Jehan de Paris est fils caché d'une reine ou d'un roi), ce choix est certainement affectif ("j'aime et j'admire mon souverain, je lui suis reconnaissant de ses bienfaits à mon égard"), voire tout simplement qualificatif ("je suis le peintre du roi, son compagnon le plus fidèle").

Laisser trace de son identité sous le couvert d'un rébus est un procédé, voire un caprice, d'artiste (sculpteur, peintre, graveur…), d'écrivain, d'éditeur.
A quel âge Erasme, lui le bâtard, d'abord appelé Gérard fils de Gérard (Geert Geerts, en hollandais), a-t-il choisi pour nom, selon la mode alors régnante, le pseudonyme gréco-latin de "Desiderius Erasmus Roterodamus" ("le désiré très aimé") ? A 17 ans !
Dans L'Europe de la Renaissance, l'âge de l'humanisme (Éditions des Deux-mondes, 1963), André Chastel et Robert Klein écrivent : " Dans la République des lettres, il y a beaucoup de comédie : dès les premiers pas, on dépose (= on quitte son nom) son identité et prend un nom latin ou grec, comme des personnages de théâtre. On traduit Schwarzerd en Melanchton, Reuchlin (petite fumée) en Capnio, Visagier en Vulteius ; l 'Allemagne se peuple de Holzmann-Xylander et autres faux Grecs ; des Italiens nommés Giovanni ou Pietro, non contents de Johannes et Petrus, choisissent Jovianus, qui évoque Jupiter, et Pierius, qui fait songer à la Piérie, ou bien ils se donnent des noms de fantaisie, comme Actius Syncerus (Sannazaro) et Pomponius Laetus… ".
Sans compter l'engouement " renaissant " pour les hiéroglyphes, le dessin qui signifie. Notre perro en est un. Et plusieurs " hiéroglyphes " font un rébus : perro - réal… Léonard de Vinci s'amusait beaucoup avec ça ! Le nom de Thomas More était représenté par une mûre ou un mûrier (morus en latin) ou un fou (môros en grec).
Qu'a fait d'autre Pablo Picasso en prenant le nom de sa mère ? Dans un entretien, Henri Matisse signale que certains peintres asiatiques ont changé plusieurs fois de nom au cours de leur vie quand ils changeaient de style. Les noms des " simples " gens (comme leur orthographe) n'étaient pas encore fixés à cette époque, fin de Moyen Âge, début Renaissance.

Voici un texte du Comte Paul Durrieu, extrait d'une étude " Livre d'Heures peint par Jean Foucquet… le 45ème feuillet de ce manuscrit retrouvé en Angleterre " paru en 1923 : " Dans plusieurs de mes publications antérieures, je suis revenu à diverses reprises sur ce fait, attesté par des documents d'archives, que, en France, au 14ème et au 15ème siècles, les artistes qui parvenaient à la notoriété, peintres et enlumineurs de manuscrits, avaient auprès d'eux, pour les seconder, des auxiliaires et des élèves, des " varlets ", des " apprentis " disait-on en français, des " famuli " écrivait-on en latin. Un miniaturiste en vue ne se bornait pas à travailler de sa propre main ; c'était encore un chef d'atelier dirigeant de haut une besogne dont il laissait une partie plus ou moins importante à ses aides, opérait sous son inspiration. J'ai comparé le cas de ces artistes chefs d'atelier à celui d'un Raphaël au 16ème siècle, d'un Rubens au 17ème siècle. Eux aussi étaient entourés d'un cortège d'élèves et de collaborateurs et dans la série des créations auxquelles on attache leurs noms glorieux, les " Loges " du Vatican pour Raphaël, la " Galerie de Marie de Médicis " autrefois au Luxembourg, aujourd'hui au Musée du Louvre, pour Rubens, il y a bien des parties auxquelles ni Raphaël ni Rubens n'ont pas touché personnellement de leurs propres pinceaux.
Jean Foucquet a très certainement suivi l'habitude de son temps et qui devait se perpétuer plus tard. Dans les manuscrits auxquels il a prêté son concours, on rencontre, à côté de pages d'un ordre tout à fait supérieur, des morceaux moins bien réussis, moins soignés, d'un faire plus lâché. Ce sont évidemment de simples productions d'atelier…
Tout en reconnaissant que ces productions d'atelier n'ont qu'une valeur relativement secondaire, par rapport aux purs originaux, il convient malgré tout de ne pas les distraire de l'ensemble de l'œuvre du maître, de la même façon que nous continuons à faire toujours honneur à Raphaël des " Loges " du Vatican et à Rubens de la totalité de la " Galerie de Marie de Médicis ", encore que nous sachions parfaitement quelle part y revient à l'intervention de collaborateurs divers
"

Ainsi qu'Elisabeth Delahaye (La Dame à la licorne, RMN, 2007, p.64) envisage de considérer la genette deux fois citée dans La Dame comme un 'emblème parlant' du 'Maître de La Dame à la licorne', peut-être Jean d'Ypres, le 'Maître d'Anne de Bretagne', je pose l'hypothèse que le chien, bichon maltais, est 'l'emblème parlant' de l'artiste Jean Perréal.
Les chiens des œuvres de ce Vulcop ne peuvent-ils pas être de la main d'un apprenti qui trouve ainsi sa " signature " ?
L'hypothèse qu'un ancien élève de " Vulcop ou Coëtivy " ait conservé les carnets de croquis et s'en soit servi par la suite (par exemple certains visages " cruels " de La Chasse) est juste. On peut aussi penser que c'est ce même élève qui a dessiné lui-même certaines parties de certaines œuvres de son maître, voire l'œuvre entière. Ce chien que l'on retrouve ensuite bien souvent dans les œuvres qui ne sont pas de Vulcop sont certainement de son élève le plus " méritant ", Jean Perréal ; ce chien est SA signature : "Perro-réal, moi, chien-royal, le meilleur et le plus fidèle".
Un autre exemple : Herri met de Bles, neveu de Joachim Patinir, peint une chouette dans quelques-uns de ses tableaux, une marque de l'atelier de son oncle qu'il a reprise. Et la chouette devient SA " signature ". Les Italiens l'ont appelé Civetta = la chouette, à cause de cette petite chouette, glissée dans la plupart de ses tableaux, un peu comme une signature... Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que tous les tableaux où l'on retrouve une chouette sont de Bles !

Un peu d'Histoire des noms que nous portons… A Rome, parmi les trois noms de tout citoyen, le nomen et le cognomen dérivent souvent du nom d'un animal porteur d'une caractéristique que l'on s'attribue. Usage développé sur les territoires celtiques et germaniques, perpétué en France pour la formation des prénoms qui sont les noms d'alors. Puis la constitution des noms de famille dès le 12ème siècle et leur obligation pour l'état civil au 16ème siècle remet l'animal à l'honneur, en compétition avec les métiers, les lieux d'origine, les qualités et défauts de chacun.
Ainsi, de l'Antiquité au milieu du Moyen Âge, le mot chien est-il l'injure la plus récurrente et la plus infamante. L'introduction du chien comme animal " noble ", dans les cours royales et princières, de chasse (le lévrier) et de compagnie (le bichon maltais) à la fin du Moyen Âge, rehausse son aura.

 

« Une seule des races canines naines ne semble pas avoir détenu une quelconque utilité à la chasse : il s’agit du bichon, qu’on appelle au XVIIe siècle « chien de Lyon ». Cette variété, qui connaît un grand succès à la cour des Valois, doit son nom au fait qu’elle est élevée par la communauté italienne de cette ville. »

« Les chiens de Malte ou de Lyon qu’on a surnommés bichons. »

Joan Pieragnoli, La cour de France et ses animaux, XVIe – XVIIe siècles, Puf, 2016.

 

Et pourquoi le singe du Goût, de L'Odorat et de La Tente (Le Toucher initial) ne serait pas, lui aussi, un 'emblème parlant' de l'artiste que les théoriciens italiens de la Renaissance nommaient, après le poète, 'le singe de la nature' dans le sens d'imitateur ? Ars simia naturae. Les singes ne sont-ils pas censés avoir inventé l'écriture et les chiffres, et être à l'origine de l'art selon les Mayas ? Toth, le dieu-babouin de la sagesse, de l'écriture et patron des scribes, était vénéré en Egypte.

Ainsi, Dante, au Chant XXIX, vers 136/139 de L'Enfer, évoque le 'singe' imitateur de Nature sous les traits de son ami Capocchio qu'il retrouva lors de sa 'visite' à l'Enfer. (Capochio, de Florence, aurait été compagnon d'études de Dante. Très habile à caricaturer les visages, il était aussi faussaire en métaux ; il fut brûlé vif à Sienne en 1293.)

sì vedrai ch'io son l'ombra di Capocchio,
che falsai li metalli con l'alchìmia;
e te dee ricordar, se ben t'adocchio,

com'io fui di natura buona scimia".

Tu verras que je suis l'ombre de Capocchio,
qui faussa les métaux par l'alchimie ;
tu dois te souvenir, si je t'ai reconnu,

comme je fus singe de la nature."

 

http://www.abcgallery.com/B/bellini/bellini65.html

(en bas, à gauche : l'animal sur une stèle dans lequel Robertson voit un singe, Goffen un chat et Tempestini un guépard repris du feuillet 89v° du recueil londonien de Jacopo Bellini)

Ce thème du 'singe - peintre' sera repris dans les siècles suivants.


D'autres raisons peuvent permettre de désigner Jean Perréal comme créateur de La Dame. Cette paternité rendue renforcerait la cohérence que les six tapisseries forment, tant sur le plan historique qu'artistique.

La Dame actuelle a une superficie de plus de 75 mètres carrés et son tissage par un ouvrier représente un travail d'au moins 75 mois. Concevoir La Dame demande une somme très importante de recherches, de travail, des déplacements nombreux auprès du commanditaire pour lui présenter les maquettes et sur le lieu de tissage. Huit tapisseries, c'est autant de tableaux de très grand format, c'est une grande part dans l'œuvre entière d'un artiste. Or, Jean Perréal était le peintre le plus en vogue de son époque mais on ne connaît de lui que très peu d'œuvres. Il est impossible qu'un homme aussi célèbre en son temps n'ait pas laissé des traces d'une œuvre artistique.

1- Le peintre doit être encore en vie en 1515 pour dessiner les cartons après le départ de Mary. Il serait bon qu'il le fût aussi en 1525, date de la bataille de Pavie pour dessiner le carton du Toucher. Mais un autre peintre a pu reprendre les personnages et le style des autres tapisseries. La première date exclut Jean Prévost certainement mort en 1457, Pierre de Paix dit d'Aubenas disparu vers 1503, Jean Hay dont on est sans nouvelle après 1504, Wouter de Crane (le Maître de Saint-Gilles) disparu entre 1508 et 1511.
Jean Perréal est né vers 1455-1460 et mort en 1530, à l'âge de soixante-dix ans environ. Les premières maquettes de La Dame à la Licorne ont été commencées treize ou quinze années avant sa mort, laps de temps grandement suffisant pour mener à bien cette entreprise, même si certaines de ces tapisseries aient pu encore se trouver sur les métiers à tisser après sa mort. Un homme jeune ou dans la force de l'âge n'aurait peut-être pas couru le risque de gâcher son avenir en participant à une entreprise quelque peu subversive et eût été moins digne de la confiance d'Antoine.

2- Il faut que l'artiste ait rencontré tous les protagonistes. Même si sur cette tenture on ne peut parler à proprement de portraits pour la représentation de Mary et de Claude, les dessins qui en ont été faits avant le tissage ont exigé pour le peintre une bonne connaissance de ces deux femmes. Jean Perréal connaissait bien Mary Tudor, Claude de France et tous les personnages qui apparaissent sous les traits des lions et de la lionne. Il avait été envoyé en Angleterre pour faire le portrait de Mary afin que Louis XII connût sa future épouse, et pour vérifier son trousseau dont les deux-tiers sont dits " à la mode de France ". A cette époque, les peintres procèdent parfois à la confection des vêtements et à l'occasion en vendent, ainsi que les sculpteurs.
Il était retourné en Angleterre peindre le portrait d'Henry VIII et celui-ci voulait se l'attacher comme il fit plus tard pour le peintre Holbein. C'est aussi Jean Perréal qui organisa toutes les fêtes du mariage de Mary et de Louis XII. Les fleurs de la garance ont leurs tiges non coupées mais arrachées, dédoublées à la main en séparant les tiges les unes des autres.

3- L'artiste qui a réalisé les maquettes des tapisseries de la Dame à la Licorne, même dirigé par Antoine dans le choix des sujets, en connaissait parfaitement la signification. Autrement, la conception de La Dame eût été impossible. Ce devait être un homme discret, de confiance et très lié avec Antoine. Une parfaite connivence devait exister entre eux : Antoine Le Viste voulait dissimuler de lourds et dangereux secrets dans des tapisseries qu'il pouvait difficilement soustraire à la vue de ses proches ou d'un visiteur et sur lesquelles on pouvait s'interroger. De plus, tous deux avaient dû éprouver quelques ressentiments personnels à l'encontre de la nouvelle branche régnante.
François 1er, dès le début de son règne, voulut rassembler des peintures italiennes (des œuvres de Titien, Raphaël, Michel-Ange) et attirer à sa Cour des artistes italiens (Léonard de Vinci de 1516 à 1519, Andrea del Sarto de 1518 à 1519, Le Rosso et Le Primatice plus tard). Nos anciens artistes français se sentent délaissés. Jean Perréal continuait certes à percevoir une pension de valet de chambre, mais n'avait plus aucune commande. Quelle humiliation pour un peintre que l'on s'arrachait peu de temps encore auparavant !
Jean Perréal avait à regretter les commandes et les gages d'Anne de Bretagne. Le comportement euphorique de Louise de Savoie et de son fils à la mort d'Anne de Bretagne qui n'apparurent à Blois que plusieurs jours après le décès, en scandalisa plus d'un, et très certainement Perréal qui fut l'un des maîtres d'œuvre de ses funérailles.

La rancœur de Perréal peut être née également de la dévaluation de sa charge. Au début du règne de Louis XII, Bourdichon et Perréal sont " sommeliers de chambre " du roi, à 240 livres par an, dans une catégorie de personnels qui comporte des nobles. En 1516, Bourdichon, Perréal et Jean Clouet reçoivent du roi une pension de 180 livres. En 1518, cette pension passe à 240 livres pour Bourdichon et Perréal seuls, Guéty passe à 200 livres, Belin descend à 120 livres, Jean Clouet garde ses 180 livres pour ne passer à 240 livres qu'en 1523. Le nombre d'artistes pensionnés va diminuant : 5 en 1516 (Belin, Bourdichon, Clouet, Guéty, Perréal), 2 en 1528 (Clouet, Perréal), Jean Clouet seul de 1533 à 1536, puis François Clouet seul jusqu'en 1545.

Pour connaître les noms, qualités et gages des artistes officiels :
http://www.portrait-renaissance.fr/Artistes/charges_remunerations.html


Nicolas Belin (né à Modène vers 1490 - mort à Londres en 1569) : peintre, fresquiste, miniaturiste, stucateur, sculpteur italien. Il se forma à Modène auprès de Niccolò dell'Abate. Après un premier séjour en France à la cour de François Ier comme 'valet de garde-robe' (1516-1522), il retourna sans doute en Italie, à Mantoue, pour travailler comme collaborateur de Primatice dans l'équipe de Giulio Romano au Palazzo Te. De retour en France, il travailla à Fontainebleau, encore comme collaborateur de Primatice (1533). Poursuivi pour une affaire de fraude (1537), il se réfugia en Angleterre où il travailla au service des rois Henri VIII, Edouard VI, Mary Tudor et Elisabeth Ire.

http://www.portrait-renaissance.fr/Artistes/niccolo_da_modena.html

Bartolomé Guety - Bartolomeo di ZANOBI di BENEDETTO GHETTI (Barthélemy GUETTY)

Originaire de Florence où il est mort en 1536, peintre décorateur, Ghetti fut, selon Giorgio Vasari, l'élève de Ridolfo Ghirlandaio. Comme Perréal, Bourdichon et Clouet, Ghetti occupait la charge de peintre et valet de garde-robe ordinaire du roi et percevait à ce titre 200 livres tournois par an (180 l. t. en 1516). En 1519, il fut le seul à conserver cet office, alors que les autres artistes passèrent dans la catégorie des valets de garde-robe extraordinaires. Son nom disparut des états des officiers royaux dès 1524, mais Ghetti continua de percevoir régulièrement ses gages de 200 l. t. pour " entretenement au service dudit seigneur " sous forme de " don et bienfaict " jusqu'en 1532. Sa présence en France est attestée jusqu'en 1533.

http://www.portrait-renaissance.fr/Artistes/bartolomeo_ghetti.html

 

Sous Charles VIII, les intimes, appelés " valets de chambre ", dormaient à tour de rôle dans la chambre du roi. En 1515, François 1er fera glisser ses intimes, aristocrates, de la catégorie " valets de chambre ", titre peu digne pour eux, à celle de " gentilshommes de la chambre " et les peintres à celle de " valets de garde-robe ", les " valets de chambre " étant désormais des administrateurs d'origine plébéienne dont le nombre va sans cesse croître.

4- Notre peintre est un voyageur, il a visité l'Italie. Les orangers et les pins maritimes, mêlés aux arbres de chez nous en bouquets isolés et distincts, viennent de la peinture italienne. Les vêtements des Dames ont un caractère italianisant : Jean Perréal a accompagné en Italie les armées de Charles VIII et de Louis XII en 1494 (chevauchant une "hacquenée grise" harnachée de "cuir noir et fer noirci"), 1499, 1502. Il est des "Voyages" de Gênes en 1506 (Pierre Pradel écrit qu'il n'en fut pas puisque le roi réclame un portrait de sa main!) et de Venise en 1509. Il y a choisi les marbres du monument funéraire de François II de Bretagne sculpté par Michel Colombe. Il y rencontra Léonard de Vinci qui a noté cette rencontre, vers 1494, dans un carnet (Codex Atlanticus, fol. 247 r. a. : "piglia da Gian di Paris il modo di colorire a secco e il modo del sale bianco e del fare le carte impastate."

Il peint des scènes de bataille pendant les campagnes italiennes de Louis XII et autres sujets pour satisfaire " par grant industrie la curiosité de son office et à la récréation des yeulx de la très chrestienne majesté. " (Jean Lemaire de Belges, 1509. D'après les Chroniques de Louis XII de Jean d'Auton, en 1501 à Milan, Perréal " avoit portraicté la figure [d'ung enfent monstrueulx] apres le vif " pour satisfaire la curiosité du roi. Léonard de Vinci dessina aussi cet enfant.

Marcel Brion (Léonard de Vinci, Albin Michel, 1995)

 " Parmi les artistes qui accompagnaient le maréchal de Chaumont [Maréchal de Chaumont, Charles d'Amboise, gouverneur de Milan pour le compte de Louis XII. Il s'attacha Léonard comme peintre de cour.], se trouvait le plus grand peintre français de ce temps, Jean Perréal, que l'on croit pouvoir, maintenant, identifier avec le fameux Maître de Moulins. Les Italiens l'appelaient Jean de Paris, ou encore Giovanni Francese ; c'était une bonne fortune que de rencontrer cet artiste qui s'était distingué par un sens remarquable de la couleur et dont Vinci aura pas mal de choses à apprendre.

Curieux de sciences, aussi, Perréal s'entretenait avec lui d'astronomie et de problèmes techniques. Il lui prêtait le Speculum Mundi, de Vincent de Beauvais, que tout le Moyen Age avait considéré comme la somme des connaissances qu'il était possible d'acquérir à cette époque, et dans lequel Léonard, à son tour, puisera quelques curieuses données, fabuleuses plus que scientifiques, qui trouveront place dans son bestiaire.

Perréal avait inventé, enfin, une manière de peindre a secco, que Vinci jugeait assez avantageuse pour la noter soigneusement dans ses carnets. Un curieux passage du Codex Atlanticus (247. a) mêle dans une confusion singulière le procédé inventé par Perréal pour fabriquer du sel blanc et du papier teinté avec toutes sortes de mémoranda relatifs au poêle des Grazie, à la maquette du théâtre de Vérone, aux ouvrages de Léonard de Crémone et à la fabrication du vernis laqué.

Cette confusion est celle d'un homme qui se prépare à partir en voyage, " achète quelques nappes et serviettes, chapeaux, souliers, quatre paires de chausses, un grand manteau en peau de chamois, et du cuir pour en faire de neufs… vends ce que tu ne peux emporter… " et qui jette sur le papier hâtivement ce qu'il ne veut pas oublier. " (p. 334)

Jean Perréal " que Léonard compte parmi ses amis " lui affirme que François 1er le conserverait sous sa protection, lui qui a appartenu à la " Maison " du roi Louis XII, ce qui lui avait permis de quitter Florence malgré les réclamations des magistrats municipaux après l'échec de la fresque de la Bataille d'Anghiari. (p. 413)

 

Pierre Pradel écrit : " lors des trois campagnes italiennes suivantes, un rôle très particulier est réservé à Perréal : celui d'ambassadeur de l'art français… " (p. 164)

 

Perréal serait resté presque deux ans en Italie, de son arrivée à Milan avec Louis XII et son armée en Octobre 1499 jusqu'en Juillet ou Août 1501 où il réapparaît à Lyon.

 

" 1499 - voyage de Perréal à Milan - refus de faire le portrait du duc de Mantoue (BH). "

 

Ce qui peut exclure Jean Bourdichon qui n'est pas signalé dans les suites royales en Italie.

Jean Perréal avait toute liberté pour se rendre à Bruxelles dans l'Etat de la Bourgogne du Nord ou en Flandres, afin d'y surveiller de temps à autre le tissage des tapisseries.

 

5- Ces tapisseries sont incontestablement l'œuvre d'un peintre miniaturiste, ce que Jean Perréal fut. Des spécialistes de l'art notent que Perréal ne rompt pas avec la tradition gothique, même s'il donne à certaines de ses œuvres des caractères de la Renaissance italienne qu'il a approchée de près. Son italianisme restera toujours assez discret mais toutefois perceptible.

 

Parmi les artistes de ce temps qui auraient pu remplir les obligations ci-dessus, il n'en est qu'un seul possible : Jean Perréal.

 

J'écarte donc sans hésitation Jean d'Ypres que certaines et certains nomment Le Maître d'Anne de Bretagne car décédé dès 1508.

 

Et si Philippe Lorentz, l’un des spécialistes de cette famille, l’écrit avec franchise et humilité, je continuerai à honorer la mémoire, l’humour et le génie de Jean Perréal :

« André d’Ypres reste donc un candidat sérieux pour une identification avec le Maître de Dreux Budé, de même que son petit-fils Jean d’Ypres pourrait bien être le Maître des Très Petites Heures d’Anne de Bretagne, alias le Maître de la Rose de la Sainte-Chapelle. »  

« Qu’André d’Ypres, Nicolas d’Amiens et Jean d’Ypres soient le Maître de Dreux Budé, le Maître de Coëtivy et le Maître des Très Petites Heures d’Anne de Bretagne restent bien entendu une hypothèse, en attente d’être confirmée ou infirmée par la découverte de nouveaux documents… »

Philippe Lorentz, « Histoire de l’art du Moyen Âge occidental », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 146 | 2015, mis en ligne le 02 octobre 2015. http://ashp.revues.org/1727

 

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Cela veut-il dire que Jean Perréal est le Maître de Moulins sur lequel les historiens d'art cherchent à mettre un prénom et un nom ? Jean Perréal a été considéré un temps par des historiens d'art comme ayant pu être lui-même ce mystérieux Maître de Moulins. Le premier, René de Maulde de la Clavière (Jean Perréal dit Jean de Paris, peintre de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier, Paris, Ernest Leroux, 1896) proposa d'attribuer le Triptyque de Moulins à Jean Perréal. N'y a-t-il que le Maître de Moulins qui ait pu songer à donner les traits d'Anne de Bourbon à la Dame de la tapisserie Pavie, par le truchement de la Déesse Athéna ? Je ne vais pas ici résoudre le mystère du Maître de Moulins en le nommant Jean Perréal. Des plus érudits que moi se sont attelés à la tâche. La vérité est-elle sortie du puits avec Jean Hay ou Hey (Maurice Goldblatt en 1948, Grete Ring en 1949, Henri Zerner en 1969, Charles Sterling et Nicole Reynaud) ? Ou encore avec Jean Prévost (Paul Dupieux, Louis Grodecki, Jacques Dupont, Pierre-Gilles Girault en 1994, Albert Châtelet en 2001) ? Attendons !

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AEtre_de_Moulins

Certains ont même vu en lui Le Maître aux pieds bots et Le Maître de la légende de Saint-Gilles. Les peintres français à cheval sur le XVe et XVIe siècles ne sont pas pléthore. La Vierge et l'Enfant entourés d'anges du Maître de Moulins qui se trouve au Musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles présente une ressemblance avec la Dame de La Vue. De même, il est difficile de regarder l'Athéna de Pavie sans penser au Saint-Maurice du tableau de Glasgow. Le petit chien du Goût sur les plis de la robe de Mary se retrouve, sans être parfaitement identique, dans le tableau de la Nativité sur les plis de la robe du Cardinal Rolin. Coïncidences ? Citations d'autres œuvres comme des clins d'œil à un collègue ?

 

" Entre les poètes & les peintres qui nous vinrent des Pays-Bas au moment de la décadence de la maison de Bourgogne, la gloire a fait d'étranges méprises. Les uns obtinrent facilement une célébrité qui nous semble usurpée ; les autres tombèrent aussitôt dans un oubli que nous avons à cœur de racheter.

Jehan Lemaire de Belges, disciple de Molinet, clerc de finances, secrétaire indiciaire & historiographe des trois plus puissantes dames de son temps, Madame Anne de France, Marguerite d'Autriche & Anne de Bretagne, est l'un des plus assommants vérificateurs de complaintes historiques & allégoriques qui chantèrent les règnes de Charles VIII & de Louis XII ; ni l'amitié de Guillaume Cretin, ni le témoignage de Pasquier, d'après lequel il est " le premier qui à bonnes enseignes donna vogue à notre poésie ", ni les éloges de Clément Marot qui confesse avoir appris de lui la coupe féminine, c'est-à-dire l'élision, ne lui feront pardonner les hyperboles dont il fait sa prose aussi bien que ses vers.

Mais, au nombre des allégories évoquées par sa muse, sont la Peinture & l'Orfèvrerie ; parmi les personnes dont il a gardé mémoire, sont des artistes ; le patron le plus cher qu'il nomme dans ses épîtres est un peintre, l'un des plus excellents de notre école primitive, Jehan de Paris : ces mérites, uniques dans un auteur gothique, recommandent suffisamment son nom auprès des éplucheurs d'histoire & d'esthétique.

Je ne suis pas le premier qui le prenne pour texte à ses gloses. Dans le plus ancien de ses ouvrages, le Temple d'honneur & de vertu (Paris, Michel Lenoir, 1504, très petit in-fol.), qui est une déploration de la mort du sire de Beaujeu adressée à Madame Anne de France, l'auteur parle des encouragements qu'il avait reçus de Jehan de Paris " qui par le bénéfice de sa main heureuse, dit-il, a mérité envers les roys & princes estre estimé un second Appelles en paincture. "

Jules Renouvier (1804-1860), Jehan de Paris, varlet de chambre et peintre ordinaire des rois Charles VIII et Louis XII, éditeur : Auguste Aubry, Paris, 1861

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56121295/f42.image.r=jules+renouvier.langFR

 

De Jean Lemaire de Belges, ces vers de La Plainte du Désiré de 1503 écrit pour Marguerite d'Autriche où Peinture exhorte ses "alumnes modernes" à célébrer la mort de Louis de Luxembourg :

Besoignez doncq, mes alumpnes modernes,
Mes beaux enfans nourris de ma mamelle,
Toy, Leonard, qui as grâces supernes,
Gentil Bellin, dont les loz sont eternes ;
Et Perrusin qui si bien couleurs mesle ;
Et toi, Jehan Hay, ta noble main chome elle ?
Viens voir Nature avec Jehan de Paris,
Pour luy donner umbraige
[ombrage] & esperitz

Jean Perréal et Jean Hay partagent ainsi les honneurs avec trois maîtres de la Renaissance italienne, Léonard de Vinci, (Giovanni ?) Bellini et Le Pérugin.

Jean Lemaire de Belges poursuit :

J'ay pinceaux mille & brosses & ostils
Et si je nay Parrhase ou Apelles
Dont le nom bruyt par mémoyres anciennes
J'ay des esprits récentz & nouvelletz,
Plus ennobliz par leurs beaulx pinceletz
Que Marmion, jadis de Valenciennes,
Ou que Fouquet qui tant eut gloires siennes,
Ni que Poyer, Rogier, Hugues de Gand,
Ou Johannes qui tant fut élégant.

Et de La Couronne margaritique écrits pour la même en 1504-1505 à la mort de son mari Philibert de Savoie :

Car l'un d'iceux estoit maistre Roger,
L'aultre Fouquet, en qui tous loz s'emploie.
Hugues de Gand, qui tant eut les trez netz
Y fut aussi, et Dieric de Louvain
Avec le Roy des peintres Johannes,
Duquel les faiz parfaits et mignonnetz
Ne tomberont jamais en oubly vain.

Ce Johannes, est-ce Jehan Perréal ?

 

— au sujet du livre Les Epîtres de l'Amant Vert de Jean Lemaire de Belges


Lettre dédicatoire

JAN LE MAIRE DE BELGES, TRESHUMBLE DISCIPLE ET LOINGTAIN IMITATEUR DES MEILLEURS INDICIAIRES ET HISTORIOGRAPHES,

AU SIEN TRES PATRON ET PROTECTEUR MAISTRE JEHAN PERREAL DE PARIS, PAINCTRE ET VARLET DE CHAMBRE ORDINAIRE DU ROY TRESCHRESTIEN,
SALUT.

Par les tiennes derrenieres lettres (treschier et honnorable amy) adressées au noble et magnificque seigneur, chevalier, messire Claude Thomassin, capitaine de ceste tresnoble cité lyonnoyse et conservateur des foires d'icelle, j'ay veu et entendu comment nostre premiere epistre de l'Amant Vert a despieça trouvé grace devant les yeulx de la Royne, voire tant qu'elle la ramentoit encoires quelque fois, à la tresgrand felicité et bonne aventure de celui mien si petit (mais tresjoyeux) labeur.

Dont, comme je feusse prouchain de mettre fin à l'impression du premier livre des Illustrations et Singularitéz, je me suis advisé que ce ne seroit point chose malsëant ne desagrëable aux lecteurs de aussi faire imprimer ladicte epistre, attendu qu'elle est favorisée par l'approbation de ladicte tressouvereraine princesse, et encoires y adjouster la seconde, pour estre ensemble publiées soubz la tresheureuse guide et decoration du nom de sa haultesse et majesté tresclere, à laquelle (s'il te plait) pourras faire ung petit et humble present de la lecture du tout, tel qu'il est, comme de ta chose propre mieulx que mienne ; car tout ce peu et tant que j'ay de bien procede de ton amistié, benivolence et avancement. Le tout puissant te conserve longuement heureux et prospere.

A Lyon le premier jour de Mars, l'an de grace Mil cincq Cens et dix.

 

René de Maulde de la Clavière, (1848-1902), Jean Perréal dit Jean de Paris, peintre de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier, Paris, E. Leroux, 1896

" Cet artiste, considéré de son vivant comme le premier peintre de son temps, tomba, dès sa mort, dans le plus complet discrédit. Personne n'a pas plus perdu à mourir. " (p. 1-2)

Il reçut " une bonne éducation : ses mœurs élégantes, ses allures spirituelles, hautaines, un peu cavalières […] son habitude de citer du latin, fût-il macaronique, et de temps à autre, certaines formules un peu pédantes trahissant de doctes prétentions. " (pp.6-7)

" Comme il n'a jamais brillé par la modestie, on se sent un peu en défiance à l'égard de sa faconde et de ses besoins de gloire et d'argent " (p. 11)

" …son goût pour les petits profits et sa parfaite serviabilité ; deux traits saillants de son caractère et sans doute inséparables. " (p. 27)

" Il fut le Christophe Colomb de nos miniaturistes du XVIIIe et du XIXè siècle, et, à cet égard, s'il connut des émules ou des élèves, Louis XII a pu dire qu'il n'avait tant de pareil " (p.64)

En Angleterre, en 1514 : " il correspondait même directement avec
Louis XII, qui parle de lui, dans une lettre au cardinal d'York, comme d'un vrai et authentique ambassadeur. " (pp. 52-53)

" Perréal, tourmenté, individuel, agissant, plein de cachet. " (p. 67)


" Perréal nous semble un délicat par excellence, un homme de goût très français, qui a compris la réalité aussi bien que les Flamands, mais qui l'a vue d'un œil plus gai et plus relevé. De ce qui lui a été donné d'admirer en Italie, il a surtout aprécié l'antique, et dans l'antique les délicatesses décoratives. Il n'a pas beaucoup mordu à l'idéal proprement dit ; il est resté rieur, de la zone d'Erasme et de Montaigne. Sa parenté du coté italien se trouverait du côté des primitifs florentins. " (p. 84)

" Il n'a pas beaucoup mordu à l'idéal proprement dit " : pour qui attribue à Jean Perréal La Dame à la licorne et La Chasse à la licorne, un triple bémol doit être attribué à cette affirmation ! Mais " l'humour ", relevé plusieurs fois par René de Maulde de la Clavière, est bien présent dans nos deux tentures à la licorne…

" Sa part semble assez belle. Il tient le premier rang, sans conteste, parmi les peintres français du commencement du XVIè siècle. Dans le lointain nébuleux des âges, il nous apparaît comme spirituel, plein de verve et d'originalité, laborieux, toujours courant après l'heureux et bien rare chimère de la perfection dans la vérité, doué d'un goût exquis et d'une âme indépendante, ouvrant une voie nouvelle avec un génie tout français. Il aima avant tout la vie ; l'art antique, dont il ressentit l'infinie délicatesse, lui servit à châtier et à affiner sa vue réaliste.
A côté des écoles de Tours, de Paris, de Rouen, de Dijon…, il porta haut le drapeau de la cour de Moulins, puis de l'école de Lyon, à laquelle il légua, sinon sa haute distinction et son fini merveilleux, du moins son trait incisif et pittoresque. " (pp. 117-118)

 

François Olivier-Martin, L'organisation corporative de la France d'ancien régime, éd. Recueil Sirey, 1938, pp. 255-256

" Les peintres et sculpteurs du roi.
Le mot "arts" dans notre ancienne langue ne signifiait pas "beaux-arts" mais plutôt "arts industriels" ; on trouve une survivance de ce sens ancien dans le titre du Conservatoire des arts et métiers ; de même, le mot "artiste" n'avait pas le sens précis qu'il a aujourd'hui ; on disait un artiste en tapisserie ou en ferronnerie.

Si un mot spécial n'avait pas été créé, c'est que la chose n'existait pas ; parmi les gens de certains métiers, quelques-uns avaient du goût, du talent ou du génie ; on ne les distinguait pas de ceux qui avaient seulement les qualités subalternes des praticiens.

C'est ainsi que dès le XIIIe siècle - le Livre des Métiers contient ses statuts - il existait une communauté de peintres et tailleurs imagiers. Ses statuts furent renouvelés le 12 août 1391 avec des prescriptions fort sévères, car elle fabriquait des ouvrages de peinture et de sculpture le plus souvent destinés aux églises ; il fallait veiller à la qualité de l'or et des couleurs employés ; cela comptait plus que le talent personnel de l'artiste.

Mais la corporation comprenait des marbriers et des doreurs qui étaient de purs praticiens ; même ceux qui n'étaient que peintres ou tailleurs d'images faisaient aussi commerce des œuvres des autres ; dans les cas les plus favorables, les maîtres de la communauté étaient des commerçants, en même temps que des artistes au sens moderne du mot.

L'on sait du reste que cette organisation n'empêcha nullement certains ateliers de produire de belles choses.

À partir du XVIe siècle, le contact avec l'Italie entraîna, à la Cour et dans l'aristocratie, une évolution du goût. On se tourna vers les artistes italiens. Le roi prit à son service des artistes venus d'Italie ou des Français ayant travaillé à leur école. Il les nomme ses valets de chambre ou, tout simplement, leur donne un brevet de peintre ou de sculpteur du roi.

Ainsi rattachés à sa personne, ils sont dispensés de toute attache et de toute surveillance corporative, comme les artisans suivant la Cour.

La reine, les princes du sang délivrent aussi des brevets. Le système est clair et logique, mais comporte des possibilités d'abus, si le roi multiplie les brevets bien au delà des nécessités de son service et s'il n'existe qu'un lien fictif entre le brevetaire et lui. Alors le brevetaire travaille pour le public, sans garanties réelles de capacité et sans contrôle de la part de la communauté des peintres et imagiers. "

 

Relation avec la page "Alchimie" de "La Chasse à la Licorne" : cliquer ici

Francisco José Goya - El Perro (Le Chien)
une des "Peintures noires" (1820-1823)
de la Quinta del Sordo (la maison du sourd) des environs de Madrid