Jean Perréal, poète !
Jean Perréal, alchimiste ?
Unique
miniature illustrant La Complainte de Nature à l'Alchimiste errant
Cette miniature et La Complainte illustrent parfaitement le 'travail' commun revendiqué par les véritables Alchimistes avec la Nature. Le vrai Alchimiste, le Philosophe, n'uvre pas contre la Nature, mais en cohérence avec elle selon des modalités définies dans tous les traités alchimiques depuis l'Antiquité, 'théorisées' par Roger Bacon (1214-1294) et magnifiquement exposées ici par Jean Perréal, en image et en vers. En 1960, Sharon Dunlap Smith retrouve dans la collection Wildenstein à New York la miniature qui fut dérobée au milieu du 19eme siècle au manuscrit de la Complainte. La miniature a été identifiée et publiée pour la première fois par Charles Sterling : Une peinture certaine de Perréal enfin retrouvée, L'il, n° 103-104, 1963, pp. 2-15 et 64-65. (Voir aussi pour correction : Charles Sterling, L'il, n° 105, 1963 ; et une correspondance de M. Huillet d'Istria, L'il, n° 110, 1964, p. 68).
1- La miniature Examinons tout d'abord l'illustration placée en frontispice. C'est elle que François 1er verra en premier, avant de lire les 1 822 octosyllabes en rimes suivies.
Comparaison de cette miniature avec La Joconde de Léonard de Vinci
Jean Perréal a pu voir La Joconde. Voir non seulement le tableau en gestation mais aussi le modèle, "ma dona" (madame) (Mona) Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo. Puisqu’il est régulièrement en Italie pour suivre les armées de Charles VIII et de Louis XII de 1494 à 1509 et que le portrait a probablement été commencé à Florence vers 1503 ; d'après Giorgio Vasari, Léonard l'achève au bout de quatre années, soit en 1506. Il y rencontre Léonard de Vinci qui a noté cette rencontre, vers 1494, dans un carnet (Codex Atlanticus, fol. 247 r.) : « piglia da Gian di Paris il modo di colorire a secco e il modo del sale bianco e delfare le carte impastate. »
L'absence de 'bourgeon' à la branche de gauche m'invite à imaginer un complément au dessin, ce qui élargit légèrement la miniature. Elle apparaît alors construite de façon très symétrique : - l'axe vertical suit la limite gauche de l'édifice en pierres - l'axe horizontal se confond avec la ligne d'horizon La perspective est rigoureusement respectée : - le point de fuite se situe sur le 'nouveau' bord extérieur gauche, resserrant ainsi l'image, sans lui donner trop de profondeur.
vers 999 à 1003 : "
La plus parfaicte creature,
Jean Perréal crée sa miniature pour qu’elle corresponde exactement aux deux parties de son poème et aux deux conceptions de l’alchimie, l’opérative (à droite, représentée par le laboratoire) et la spéculative (à gauche, représentée par Nature et l’Arbre). Entre les deux, au centre de la miniature, se trouve l’Alchimiste-Philosophe. Perréal s’appuie, selon moi, sur les écrits de Ramon Llull (Raymond Lulle ; 1232-1316) qui forment l’Ars : un système permettant d'accéder à toute vérité logique ou métaphysique, un moyen de trouver de nouveaux arguments, un instrument permettant d'accéder à toutes les connaissances générales et particulières et un outil destiné au missionnaire qui cherche à réfuter les arguments des infidèles. Perréal a certainement eu connaissance du Liber de ascensu et descensu intellectus réédité à Valence en 1512. La motivation explicite du Liber de ascensu et descensu intellectus (« Livre de l'ascension et de la descente de l'entendement ») écrit en latin à Montpellier en 1305, est de faciliter l'accès des laïcs à la philosophie. Se retrouvent écrits sur les circonvolutions de l’arbre les termes mêmes employés par Lulle dans cet ouvrage : mixtio, ignis, aer, terra, aqua, species, genus, individuum,en respectant la hiérarchie des subjecta.
Illustration d’une nouvelle édition imprimée à Valence en 1512.
Laquelle des deux illustrations a vue Perréal ? Peut-être celle de 1512 où figurent deux personnages et un ange. Perréal reprend la composition : arbre + deux personnages. Le costume des deux personnages « lulliens »et l’alchimiste de Perréal (que je pense être son autoportrait) est le même. Les chaussures idem. Dame Nature ailée rappelle l’ange « lullien ». La tour et sa porte ouverte, le laboratoire. Et Dieu tout en haut, dans les deux cas. Il fait la synthèse de plusieurs représentations alchimiques : arbre + escalier ou échelle + etc. Mais il y ajoute des éléments que son génie et son humour lui soufflent : jeune femme nue, le feu dans la souche, l’emprunt de La Joconde.
L’illustration en couleurs est surmontée d’un cartouche où se lit la phrase latine : Sapientia edificavit sibi domum, La sagesse a bâti sa maison ou la sagesse s'est édifiée d'elle-même, extraite de Proverbes, 9:1. Elle montre à gauche, le Philosophe ou le Sage (Lulle lui-même) qui s'engage sur une échelle, ou plutôt une sorte d'escalier. Son index droit montre un cartouche où est écrit : Intellectus conjunctus, l’intelligence unie (au corps). Il tient à la main gauche une figure circulaire qui comporte trois échelles. La première échelle nommée Scala intellectus est représentée deux fois : au centre de la figure circulaire et sous forme d’un escalier où sont énumérés les huit sujets (subjecta) ou degrés d’existence : Lapide, Flamma, Planta, Bruto, Homine, Caelo, Angelo, Deo (pierre, feu, plante, animal, homme, ciel, ange, Dieu). Les doctrines qui leur sont dédiées sont les suivantes : la mixtio des éléments (lapide) ; la dynamique élémentaire du mouvement et de la diffusion (flamma) ; la vie biologique (planta), avec observations médicales ; la vie animale et la génération sexuelle (bruto) ; la constitution de l'être humain - corps et âme - et sa structure intellectuelle (homine) ; le ciel et son influence sur le monde sublunaire (caelo) ; la nature des anges (angelo).
Les deux couronnes concentriques qui contiennent chacun une échelle permettent d’introduire un choix fondamental de doctrines philosophiques au moyen d'une combinatoire particulière utilisant les deux cercles. La manière dont les deux séries sont combinées ressemble à la mixtio de principes de l’ars lullien.
Le cercle extérieur (la seconde échelle) énumère les douze concepts clés de la philosophie scolastique à travers lesquels nous pouvons connaître les huit subjecta : Actus, Passio, Actio, Natura, Accidens, Substantia, Simplex, Compositum, Individuum, Species, Genus, Ens (actions, passion, action, accident, nature, substance, simple, composé, individu, espèce, genre, être).
Le cercle intérieur (la troisième échelle) décrit la dynamique de l'intellect humain à partir des cinq degrés d'acquisition des connaissances : Sensibile, Imaginabile, Dubitabile, Credibile, Intelligibile (par les sens, par l’imagination, par le doute, par la croyance, par l’entendement) qui permettent de monter et de descendre sur « l'échelle de l'être ».
À l'aide de ces outils philosophiques, Llull établit une « méthode » permettant d’acquérir des connaissances philosophiques : l'intellect, les sens et les autres facultés de la troisième échelle, en utilisant les termes de la seconde échelle comme instrument, permettent la construction de la connaissance des différents subjecta de la première échelle.
Parmi les cinq sens, la vue et le toucher jouent un rôle de premier plan, mais l’affatus (le langage)occupe la première place, pour trois raisons : 1- au moyen du mot, l’intellect introduit le contenu de la connaissance enseignée dans le domaine de l’expérience sensorielle en le présentant à l'auditoire. 2- l'énonciation verbale fixe ce que l'intellect découvre lui-même, jouant un rôle décisif dans la production des doctrines. 3- l’affatus ("magis participat cum intellectu sive mente" : actions avec l'intelligence ou l'esprit) est universel : alors que les quatre autres sens sont particuliers parce qu’ils dessinent uniquement leurs propres sens (la vue, la couleur, la forme… ; le toucher, le froid, la dureté … ; l’odorat, l’odeur ; le goût, la saveur), alors que la parole peut tout désigner et tout le monde l'entend.
(texte établi à partir de l’article suivant : Michela Pereira, « Nuovi strumenti per pensare. Ramon Llull e la filosofia per i laici nel Liber de ascensu et descensu intellectus », Quaderns d’Italià, 18, 2013, p. 109-126.)
Cf. aussi : https://plato.stanford.edu/entries/llull/
https://www.theol.uni-freiburg.de/disciplinae/dqtm/forschung/raimundus-lullus
https://www.theol.uni-freiburg.de/disciplinae/dqtm/forschung/raimundus-lullus/projektbeschreibung-en
L’affatus : le sixième sens
Raymond Lulle adopte la classification des tempéraments courante au Moyen Age qui remonte à Galien. Le corps humain est gouverné par quatre humeurs : la colère, la bile, le flegme et le sang et possède quatre facultés ou puissances : l’appétitive, la rétentrice, la digestive et l’expulsive. Mais Lulle ajoute aux cinq sens traditionnels un sixième sens qu’il nomme Affatus ou Effatus, commun aux animaux et aux humains. (Du latin classique affatus ou adfatus : participe passé de affari (= adfari) qui signifie « parler à » ou substantif signifiant « discours », « paroles ». Dans Gaffiot : adfabilis (adfari), à qui l'on peut parler, affable, accueillant.) Il lui consacre un livre intitulé Affatus écrit en 1294 à Naples. Il tient beaucoup à cet opuscule car il le cite dans une dizaine de ses œuvres. La première phrase en est : « Deus, in virtue tuse sanctitatis incipimus investigare sextum sensum quem appellamus affatum. » (Dieu, en vertu de ta sainteté, je commence à étudier le sixième sens que j'appelle affatum.) L’Affatus est « cette puissance grâce à laquelle l’animal manifeste par la voix sa conception à un autre animal. » Son organe est la langue ; il se manifeste par un mouvement qui, né dans les poumons, passe par la langue et le palais pour former la voix. « J’appelle ce nouveau sens Affatus car il permet d’exprimer la conception que se fait tout le corps animé et sensible, selon la raison et l’imagination de l’être humain, selon l’imagination seulement chez les animaux. Ce sixième sens, actif, est plus noble que l’ouïe, qui est passive. Et par référence à Dieu, l’Affatus surpasse en noblesse tous les autres sens car, grâce à lui, Dieu peut être nommé, alors qu’il ne peut être vu, ni entendu, ni senti, ni goûté, ni touché. »
L’objectif principal de l’alchimie était de produire le Lapis Philosophorum, la pierre philosophale, une substance ayant trois propriétés essentielles : changer les métaux vils en métaux précieux, comme l'argent (argyropée) ou l'or (chrysopée) ; guérir les maladies ; rendre l’être humain immortel (élixir de longue vie) Carl Gustav Jung notamment voit dans la lapis philosophicae (Pierre Philosophale) la métaphore culturelle du processus d'évolution psychique de tout être humain, la force le poussant vers davantage de différenciation, dans un système de mise en abyme du microcosme et du macrocosme (Psychologie et Alchimie, Paris, Buchet Chastel, 1970).
au-dessus
de la fiole, 9 rayons blancs
planches
extraites du Praetiosissimum Donum Dei, manuscrit du17è s. - Bibliothèque
de l'Arsenal Pour tout admirer des magnifiques planches du Splendor Solis : http://herve.delboy.perso.sfr.fr/gravures.html#VIII._Splendor_Solis
Jaro
Griemiller z Tøebska Le
Pharaon Thoutmosis III est allaité par la déesse Isis
1-
Coupe à l'oiseleur - Louvre - Tondo d'une coupe ionienne à figures
noires - Grèce de l'est - v. 550 av. n.è.
Gustave
Klimt - L'Arbre de Vie - 1905 -1909
Il
s'agit de la représentation de la Grande Mère Nature qui
dispense Sagesse et Savoir aux Initiés.
http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Tree_of_knowledge
La
sculpture avec des arbres : http://shelf3d.com/i/Arborsculpture
L'Alchimiste, très proche de Nature, apparaît dans une attitude humble, d'écoute attentive et sérieuse. Tête inclinée, dédaignant son laboratoire, il regarde Nature assise devant lui. Il nous tourne le dos : ce n'est pas lui le personnage principal de la scène, mais Nature, c'est-à-dire Dieu. Son habit est celui d'une personne aisée ; sa résidence, qui occupe la moitié droite de la miniature, est cossue, à étages et en pierres. Notre Alchimiste n'a aucun point commun avec ceux croqués ironiquement par Hans Weiditz ou Pieter Brueghel l'Ancien. http://www.levity.com/alchemy/weiditz.html http://enigm-art.blogspot.fr/2010/11/les-alchimistes-dans-lart.html
Nature est assise sur un siège, le pied creux d'un arbre, four où flambe un feu ; de chaque côté s'élève une branche qui va se divisant en dessinant des entrelacs, formant ainsi un haut dossier où peuvent (?) se lire des formes simples :
http://ora-et-labora.frenchboard.com/t104-le-feu http://aqua-permanens.blogspot.fr/2011/11/lumen-naturae.html https://le-miroir-alchimique.blogspot.fr/2014/10/jehan-perreal-les-remonstrances-de_8.html
Dans le tronc de l'arbre brûle un feu qui symbolise lathanor. Sur les quatre branches, sont écrits (3 fois chacun) les noms des quatre éléments en latin : terra, aqua, aer, ignys. Les éléments s'assemblent logiquement 2 à 2 (terre avec eau ; air avec feu) sur des branches symétriques et/ou conjointes. Les branches, longuement entrelacées pour évoquer la mixio, se rassemblent au sommet pour donner l'OPUS NATURE : un matras touché par la lumière solaire (la divinité) repose sur une fleur ouverte symbolisant la nature.
Les deux personnages ont la même taille, mais un système d'oppositions très fortes est traduit dans la miniature :
Pour lire ou relire, page "La Vue", la 'lecture' de Barbara Obrist sur l'attitude de Nature : cliquer ici
Extrait du Tome 2, pp.280-2 de Mircea ELIADE, Histoire des croyances et des idées religieuses, 3 Tomes, Payot, 1976 ou dans Forgerons et Alchimistes, Flammarion, 1977, Chapitre " Alchimie et initiation " pp.126-127 " Bien plus que la théorie philosophique de l'unité de la matière, c'est probablement la vieille conception de la Terre-Mère porteuse des minerais-embryons qui a cristallisé la foi dans une transmutation artificielle, c'est-à-dire opérée en laboratoire. C'est la rencontre avec les symbolismes, les mythologies et les techniques des mineurs, des fondeurs et des forgerons qui a vraisemblablement occasionné les premières opérations alchimiques. Mais c'est surtout la découverte expérimentale de Substance vivante, telle qu'elle était sentie par les artisans, qui a dû jouer le rôle décisif. En effet, c'est la conception d'une Vie complexe et dramatique de la Matière qui constitue l'originalité de l'alchimie par rapport à la science grecque classique. On est fondé à supposer que l'expérience de la vie dramatique de la Matière fut rendue possible par la connaissance des Mystères gréco-orientaux. Le scénario des "souffrances", de la "mort" et de la "résurrection" de la Matière est attesté dès le commencement dans la littérature alchimique gréco-égyptienne. La transmutation, l'opus magnum qui aboutit à la Pierre philosophale, s'obtient en faisant passer la matière par quatre phases, dénommées, en fonction des couleurs que prennent les ingrédients, mélansis (noir), leúkosis (blanc), xanthosis (jaune) et iosis (rouge). Le " noir" (la nigredo des auteurs médiévaux) symbolise la "mort". Mais il convient de le souligner : les quatre phases de l'opus sont déjà attestées dans les Physika Mystika pseudo-démocrites, donc dans le premier écrit proprement alchimique ( IIè-Ier siècle av.n.è.). Avec des variantes sans nombre, les quatre (ou cinq) phases de l'uvre (nigredo, albedo, citrinitas, rubedo parfois viriditas, parfois cauda pavonis) se maintiennent à travers toute l'histoire de l'alchimie arabe et occidentale. Il y a plus encore: c'est le drame mystique du dieu sa passion, sa mort, sa résurrection qui est projeté sur la Matière pour la transmuer. En somme, l'alchimiste traite la Matière comme la divinité était traitée dans les Mystères : les substances minérales " souffrent", " meurent ", "renaissent " à un autre mode d'être, c'est-à-dire sont transmuées. Dans son Traité sur l'Art (III, 1,2-3), Zosime rapporte une vision qu'il a eue en rêve : un personnage du nom d'Ion lui révèle qu'il a été percé par l'épée, taillé en pièces, décapité, écorché, brûlé dans le feu, et qu'il a souffert tout cela " afin de pouvoir changer son corps en esprit ". En se réveillant, Zosime se demande si tout ce qu'il a vu en rêve ne se rapporte pas au processus alchimique de la combinaison de l'Eau, si Ion n'est pas la figure, l'image exemplaire de l'Eau. Comme l'a montré Jung, cette Eau est l'aqua permanens des alchimistes et ses " tortures " par le Feu correspondent à l'opération de separatio. Remarquons que la description de Zosime rappelle non seulement le démembrement de Dionysos et des autres "dieux mourants" des Mystères (dont la "passion" est, sur un certain plan, homologable aux divers moments du cycle végétal, surtout les tortures, la mort et la résurrection de l'" Esprit du blé "), mais qu'elle présente des analogies frappantes avec les visions initiatiques des chamans et, en général, avec le schéma fondamental de toutes les initiations archaïques. Dans les initiations chamaniques, les preuves, bien que subies " en état second ", sont parfois d'une extrême cruauté : le futur chaman assiste en rêve à sa propre mise en pièces, à sa décapitation et à sa mort. Si l'on tient compte de l'universalité de ce schéma initiatique et, d'autre part, de la solidarité entre les travailleurs de métaux, les forgerons et les chamans; si l'on songe que les anciennes confréries méditerranéennes de métallurgistes et de forgerons disposaient, très vraisemblablement, de Mystères qui leur étaient propres, on en vient à situer la vision de Zosime dans un univers spirituel propre aux sociétés traditionnelles. Du coup, on mesure la grande innovation des alchimistes : ils ont projeté sur la Matière la fonction initiatique de la souffrance. Grâce aux opérations alchimiques, homologuées aux "tortures ", à la "mort" et à la "résurrection" du myste, la substance est transmuée, c'est-à-dire obtient un mode d'être transcendantal : elle devient de l'"Or". L'or, on le sait, est le symbole de l'immortalité. La transmutation alchimique équivaut donc à la perfection de la matière et, pour l'alchimiste, à l'achèvement de son " initiation". Dans les cultures traditionnelles, les minerais et les métaux étaient regardés comme des organismes vivants : on parlait de leur gestation, de leur croissance et de leur naissance, on parlait même de leur mariage. Les alchimistes gréco-orientaux ont adopté et revalorisé toutes ces croyances archaïques. La combinaison alchimique du soufre et du mercure est presque toujours exprimée en termes de "mariage". Mais ce mariage est aussi une union mystique entre deux principes cosmologiques. Là est la nouveauté de la perspective alchimique : la Vie de la Matière n'est plus signifiée en termes de hiérophanies " vitales", comme dans la perspective de l'homme archaïque, mais elle acquiert une dimension " spirituelle " ; autrement dit : en assumant la signification initiatique du drame et de la souffrance, la Matière assume aussi le destin de l'Esprit. Les "épreuves initiatiques ", qui, sur le plan de l'Esprit, aboutissent à la liberté, à l'illumination et à l'immortalité, conduisent sur le plan de la Matière à la transmutation, à la Pierre philosophale. On pourrait
comparer cette revalorisation audacieuse d'un scénario mythico-rituel immémorial
(la gestation et la croissance des minerais dans le sein de la Terre-Mère
; le fourneau assimilé à une nouvelle tellurique, où le minerai
achève sa gestation ; le mineur et le métallurgiste se substituant
à la Terre-Mère pour accélérer et parfaire la "croissance"
des minerais) à la "transmutation" des vieux cultes agraires
en religion à Mystères. On mesurera plus tard les conséquences
de cet effort pour "spiritualiser" la Matière, pour la "transmuer".
2- Le prologue 19 vers formant en acrostiche IEHAN PERREAL DE PARIS
Jean Perréal a eu un devancier : Maître François Villon, dont il a lu dans Le Testament, composé en 1461-1462, la Ballade à s'amye. Le poète est alors âgé de trente ans, " au retour de dure prison " de Meung-sur-Loire, libéré lors du passage de Louis XI dans cette ville en octobre 1461.
(les 14 premiers vers révèlent en acrostiche les prénoms des deux 'amoureux')
Jean
Perréal a aussi un successeur inattendu :
3- La Complainte
(Jean Perréal, La Complainte de Nature à l'Alchimiste errant, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms 3220 - 44 feuillets - vers 1516 ; Cf. le début du prologue, où l'auteur dit que c'est onze mois après la bataille de Marignan qu'il a trouvé l'original latin de son poème) Je suivrai l'étude d'André VERNET, Jean Perréal, poète et alchimiste, parue dans Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, Tome III, Librairie Droz, 1943. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1943_num_87_1_77599 La première édition de La Complainte parut à Paris en 1561, sous le titre suivant : De la transformation metallique, trois anciens tractez en rithme francoise ascavoir - La fontaine des amoureux de science : Autheur J. De La Fontaine - Les Remonstrances de Nature a Lalchymiste errant : avec la response dudict Alchy. par J. de Meung... - A Paris - Chez Guillaume Guillard et Amaury Warancore - 1561. In-12, 75 fol. La Complainte (fol. 20-50 v.) est précédée de La Fontaine des amoureux de science par Jean de La Fontaine et suivie du Sommaire philosophique de Nicolas Flamel, sans compter quelques vers extraits du Roman de la Rose, le Testament attribué à Arnaud de Villeneuve et " aultres vers touchant le mesme art, l'autheur desquelz ne s'est nomé " (fol. 64). L'éditeur ne s'est pas fait connaître non plus, mais La Croix du Maine croyait savoir qu'il s'agissait de Jacques Gohorry, " lecteur ordinaire ès Mathématiques à Paris, philosophe et grand chimiste. " C'est ce dernier qui changea le titre en Les Remonstrances de Nature et qui attribua l'uvre à Jean de Meung, malgré la présence de son nom au vers 773. Les
armes de Meung-sur-Loire : Dans
une pièce théâtrale, Les Souffleurs, ou La pierre philosophale
d'Arlequin, comedie nouvelle, comique, & satirique, que certains donnent
à Michel Chilliat, Il faut attendre 1836 pour que C.-M. Robert, conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, signale l'existence d'un manuscrit de la Complainte. Voici les fameux vers (16 035 à 16 118) du Roman de la Rose qui ont incité certains à attribuer la Complainte de Jean Perréal à Jean de Meung. Ce dernier " se contente d'exposer une sorte de lieu commun concernant la possibilité théorique de l'alchimie. " Aux vers 16 053 à 16 082, Jean de Meung 'prouve' la réalité de l'alchimie (c'est-à-dire la possibilité de transmuer les " espèces ") en citant deux exemples probants à son sens et qui devaient être classiques " à cette époque : la fougère transformée en verre et les vapeurs d'eau transformées en pierre.
André Vernet écrit
: " Le Roman de la Rose est en effet, bien qu'il ne l'ait dit point
dit, la principale source de Perréal. On notera même que les rubriques
sont une imitation directe des rubriques versifiées qui apparaissent dans
les premières éditions lyonnaises du Roman (vers 1481-1487)
et qui ont peut-être été rédigées pour elles.
Le mètre employé, l'octosyllabe, est le même. [
] Le
point de départ et l'idée première de la Complainte
sont tout entiers dans les vers 18967 et suivants du Roman de la Rose ;
Nature se plaint de l'homme qui, seul de la création, lui désobéit."
(p. 236) Comparons les deux textes : 3.1.
Les emprunts à la rime André Vernet peut écrire devant l'abondance des rimes empruntées : " elles suffisent à montrer que Gohorry avait quelque apparence d'excuse à attribuer La Complainte à Jean de Meun. " En voici plusieurs exemples glanés (version Félix Lecoy, 1965-1966-1970) : vv. 16001-16002
: et la contrefet conme singes ; / mes tant est ses sens nus et linges vv.
16009-16010 : Quanqu'eus treuvent dedenz sa forge / Toujourz martele, toujourz
forge
vv.
16029-16030 : Si garde, coment Nature euvre / Car mout voudrait faire autel euvre... vv.
16047-16048 : quant el feroit son elixir, / don la fourme devroit issir vv.
16053-16054 : Ne porquant, c'est chose notable, / alkimie est art veritable. vv.
16069-16070 : Se tant ne fait qu'el les rameine / A leur matire prumeraine... vv.
16077-16078 : de la cause qui tel matire / a ceste estrange espiece tire. vv.
16121-16122 : Car tuit par diverses manieres / Dedenz leur terrestres minieres... Les doléances sont exprimées par Nature, la chambrière de Dieu, dont Jean de Meung vante les " biautez / de lui ja mes descrivre / ne pourroit, tant eüst a vivre " (vv. 16151-16153). Le même terme est convoqué pour noter la place de Nature auprès de Dieu. Aux vers 16751-16754 du Roman, Nature se désigne ainsi : " Por chambriere ? certes vaire / por connetable et por vicaire, / dont je ne fusse mie digne, / for par sa volanté benigne. " Dans la Complainte, Nature définit sa tâche de service après-vente au vers 340 : " La chambriere faict l'apprest ", elle supervise la création de Dieu, selon ses ordres.
"
L'interrogation sur la nature se développe au cours des 12e et 13e siècles.
Cette omniprésence se traduit par la création de l'allégorie
de Dame Nature telle qu'elle apparaît dans le Roman de la Rose. Dans
une optique aristotélicienne, christianisée, la nature est perçue
comme un principe de mouvement, directement associé à Dieu depuis
saint Augustin [
] Evoquer la nature, c'est forcément songer à
la toute puissance de Dieu. Pour Alain de Lille, dans son De Planctu Naturae,
la nature est " vicaire de Dieu ", fille de Dieu et mère de toutes
choses. " Dame
nature donne ses ordres à Genius C'est une " douleur " que Nature supporte difficilement, dans le Roman :
Une douleur si extrême qu'elle voudrait rendre son tablier :
La complainte de Nature à l'encontre du seul alchimiste errant est
tout aussi intense : L'Art est une première cause d'irritation. Dans le Roman, Nature est chagrinée par ceux qui veulent l'imiter, par l'écriture ou les arts plastiques, dans ses uvres de création :
Tout en soulignant la difficulté d'approcher Nature, il avoue (vers 93- 94) : " Je broulle et pains, je rimasse en saison / Pour mon plaisir, sans rime ne raison. "
Mais la raison principale de cette plainte est différente selon nos poètes.
Jean de Meung dénonce en priorité le couple maléfique mort
et corruption qui tue les créatures de Nature : Chez Jean Perréal, Nature ne se plaint que des alchimistes errants, spagyristes et souffleurs, qui tentent vainement de produire de l'or en voulant transmuer les métaux.
3.3. L'Alchimie Le jugement de Jean de Meung à ce sujet oscille entre doute et approbation. Il écrit :
quel livre aidera l'Alchimiste ? Le
Roman, aux vers 16091-16094, ne livre aucune référence : Dans la dédicace à François 1er, Jean Perréal nomme des auteurs dont il découvre les uvres dans la librairie d'ung chasteau fort antique du Daulphiné : Aristote, Avicenne, Arnaud de Villeneuve, saint Augustin, Albert le Grand, Démocrite, Hermès, Geber, Raymond Lull, Morienus Romanus, Armengaud Pinet, Platon et Jean de Meung. Ces noms, plus celui de Salomon, se retrouvent dans le poème aux vers 765-79. Mais Jean Perréal ne croit pas en l'alchimie des spagyristes, en l'Opus mechanice des souffleurs. En cela, il s'oppose aux vers 16105-16108 du Roman :
et
aux vers 16035-16082 où Jean de Meung croit prouver la réalité
de l'alchimie (c'est-à-dire la possibilité de transmuer les espèces)
en citant deux exemples, à son sens probants : la fougère transformée
en verre et les vapeurs d'eau transformées en pierre. Jean Perréal
rétorque : " Que nulle pierre ne s'engendre
/ Que des élemens par son genre. " (I, vv. 843-844) et "
Chacun rapporte se semblance : / D'homme vient homme, de
fruict le fruict, / Et de beste, beste s'enfuit.
" (II, vv. 1265-1267) Ainsi Jean Perréal, dans sa Complainte,
énonce-t-il à plusieurs reprises très nettement l'impossibilité
pour l'homme de produire l'or, l'élixir de longue vie et la Pierre Philosophale
: " Car en moy est de transmuer / leur espece &
leurs elements. / Si tu dis autrement, tu ments. " (vers 424-426).
Nature réitère cette loi aux vers 468-470, 522-524, 538-542, 561-590.
Il apparaît donc que c'est sur une condamnation sans appel qu'est tissé
le discours de Nature à l'encontre de l'alchimie opérative. Jean
Perréal accorde ses faveurs à une alchimie spéculative où
"la quête de soi" doit être le but primordial de toute philosophie. Le texte de la Complainte est un entrelacs des affirmations de la littérature alchimique et de leur réfutation par Nature : de manière répétitive sont exposées les modes de fabrication des spagyristes et des souffleurs, leurs espérances, leur désespoir et les lois divines de la Création par nature. Car, pour Jean Perréal, tout a été créé aux six premiers jours par Dieu que Nature seconde désormais : "
Ils sont créez en prime instance / Des elemens ; & leur substance /
De ces quatre je les fais naistre " (vers
93-95), créé à partir des quatre éléments "
royaux / qu'est la semence primitive "
(vers 122-123).
3.4. La Philosophie La seule voie raisonnable est celle de la vraie Philosophie, qui croit en Dieu, qui n'essaie pas de l'égaler " comme un singe " (v. 658), qui obéit aux lois de Nature, qui reconnaît l'influence des planètes et des astres sur les êtres et les choses. " Il te convient porter le faiz / D'estudier & travailler / En Philosophie & veiller." (vers 854-856) Le vrai Philosophe alchimiste ne fréquente pas le laboratoire et les fourneaux, mais les livres et la réflexion.
La Pierre Philosophale tant recherchée est en soi. Chacun peut la trouver et vivre heureux jusqu'à la mort : (vers 933-948)
S'il désire créer lui-même, à l'image de Dieu, le Philosophe, comme tout homme, doit suivre benoîtement les lois de Dieu et de Nature que Jean Perréal, espiègle, précise :
Les vers suivants (765-774) sont un écho des vers du Roman où Jean de Meung recommande de renouveler les générations :
Dans
Politique (1, 1, 4) Aristote exprime l'idée que, pour le salut de
l'espèce, l'espèce aurait le dessus sur tout être vivant qui
serait en quelque sorte sa propriété : Mater generationis Natura soit La Nature est mère de la génération : cette maxime médiévale donne un air d'évidence à la problématique humaine de la reproduction. La fonction juridique est de nouer, par des moyens juridiques qui fassent loi généalogique pour le sujet, le biologique, le social et l'inconscient. Soit " soumettre le désir aux exigences de reproduction de l'espèce et produire le discours légaliste au moyen duquel cet énigmatique objet un enfant puisse être parlé comme sujet des filiations familiales. " (Pierre Legendre, L'inestimable objet de la transmission. Etude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, 1985, p. 225) [
Voir Michelle Zink, Nature et poésie au Moyen Age, Fayard, 2006.
Un livre où se retrouve cette idée que " la Nature, ouvrière
du Créateur, ordonne le chaos et lui impose sa loi, représentation
qui n'alimente pas seulement des spéculations abstraites, mais aussi une
poésie nourrie de l'émerveillement et de la peur qui habitent toute
créature humaine face à la nature ; et aussi du désir, puisque
la loi de la nature est celle de la génération. " ]
L'alchimiste apostrophé par Nature a bien compris la leçon :
Ces vers (1795-1803) sont une reprise parodique des vers derniers du Roman de la Rose où l'Amoureux conquiert physiquement la Rose en un coït explicitement décrit par Jean de Meung. Ainsi se clôt le texte perréalien en un clin d'il complice au Roman de la Rose. L'Amant
à la recherche de la Rose Quel homme n'arderait point devant la nudité de Dame Nature, Vénus pure et disponible aux longs cheveux défaits, qui, offerte par le pinceau égrillard de Jean Perréal dans sa miniature, a bien le feu aux fesses ? <L.H.O.O.Q.> aurait pu s'exclamer Marcel Duchamp, ne reconnaissant pas dans ce portrait peint la Nature des Lamentations d'Alain de Lille, aux cheveux bien tressés comme ceux de la Vierge ! Quel homme, rêvant d'une ardente hiérogamie, ne souhaiterait, par l'art du dard, atteindre le septième ciel dans le fastueux déploiement des ailes multicolores de cette Isis assise sur des charbons ardents ?
Etude
parue dans : González Doreste, Dulce Mª y Mendoza Ramos, Pilar (sous
la direction de). Nouvelles de la Rose. Actualité et perspectives du
Roman de la Rose. Secretariado de Publicaciones de la Universidad de La Laguna,
2011. ISBN 978-84-15287-14-8.
Sandro
Botticelli - dessin de l'Enfer n° 29 Par exemple, Griffolino d'Arezzo, dont parle Dante au chant XXIX, vv. 109-117 (dernière division du huitième cercle de l'Enfer), qui se vantait d'avoir le secret de voler dans l'air. "
"Io fui d'Arezzo, e Albero da Siena", " Je fus d'Arezzo, répondit l'un d'eux, et Alberto de Sienne me livra au feu ; mais ce pourquoi je mourus, n'est pas ce qui m'a conduit ici. Il est vrai que je lui dis, par manière de jeu, que je pouvais m'élever dans l'air en volant ; et lui, qui avait beaucoup de désir et peu de sens, voulut que je lui montrasse cet art ; et seulement parce que de lui je ne fis pas Dédale, il me fit brûler par tel qui le tenait pour son fils. "
4- Pourquoi ? Maintenant, posons-nous une question : pourquoi, en 1516, Jean Perréal, à l'âge de 61 ans (si né en 1455) ou 56 ans (si né en 1460), a-t-il jugé bon d'écrire cette longue uvre versifiée et l'a-t-il dédiée au nouveau roi François 1er ? était-il un Philosophe au sens d'Alchimiste et a-t-il voulu léguer à la postérité le fruit de ses expériences et de ses réflexions ? désirait-il ajouter son nom à la liste des auteurs de traités d'Alchimie, en voulant être moins sibyllin et 'alambiqué' que ses prédécesseurs ? appartint-il à l'organisation regroupant les hermétistes européens qui se reconnaissaient à l'aide de mots et de signes convenus, l'Association de la Communauté des Mages, créée en 1507 par Henri Cornelius Agrippa (médecin de Charles Quint, chevalier de la Milice d'Or et auteur de la De Occulta Philosophia) avec qui il entretint des relations épistolaires ? avait-il à " se protéger " en passant pour être un Alchimiste 'orthodoxe' et non un " souffleur " extravagant ou genre faux-monnayeur ? avait-il besoin de se faire bien voir, de se rappeler au bon souvenir de ce nouveau roi qui allait chercher en Italie les artistes dont il avait besoin ? Le roi lui a-t-il passé commande d'un essai sur l'Alchimie comme il le fera en 1519 avec Jean Thénaud pour la Kabbale ? C'est une question importante car elle oblige chacune et chacun à examiner ses uvres (La Chasse et La Dame ?) en sachant que l'Alchimie était une de ses préoccupations, comme elle le fut pour la plupart des artistes et savants de cette époque.
5- l'Epître dédicatoire de Jean Perréal à François 1er Les réponses sont en partie contenues dans cette épître dédicatoire au roi comme en contenaient nombre de volumes de cette époque. Rien dans les documents royaux ne prouve que la Complainte ait été présentée à François 1er. Les conditions de la découverte dans " ung trou sus lequel estoit paint une teste de mort avec ses oreilles que bien contemplay ... d'ung livret si fort viel, plus relié d'yraignes et de pouldre que d'aultre couverture " sont une fable, un procédé littéraire déjà utilisé par Nicolas Flamel, par Bonaventure Des Périers pour le Cymbalum mundi, par l'auteur du Roman de Jehan de Paris, par François Rabelais pour son Gargantua. (C'est moi qui découpe le texte en paragraphes pour une lecture plus facile) " Mon souverain seigneur, bienfaicteur et tout l'espoir de ma vieillesse, par la grace de Dieu sacré trescrestien roy de France et premier de ce nom François, trespuissant prince et victorieux debellateur de la gent elvessienne, nation superbe et belliqueuse, mais vaincue comme fut cugneu le jour Saincte Croix [14 Septembre 1515], au lieu de Sainte Brigide en vostre duché de Millan [victoire de Marignan], en toute crainte amoureuse et humble amour obediente, salut. Comme ainsi soit que griefve maladie, apres icelle victoire, m'a longuement detenu a Lion et recullé de votre tant humaine presence par l'espace de XI mois, et depuis au vouloir Dieu revenu en convallessance puis, par le conseil du medecin, me fut dit prendre et changer l'aer pour mieulx fortifier ma debille et pauvre piece de chair si montay a cheval pour aller trouver nouvel aer et prins mon chemin au beau pays du Daulphiné, auquel je fus par l'espace de X ou XII jours. Avint que l'on me dist qu'il y avoit ung chasteau pres de la, fort antique et de vieille structure, auquel estoient choses dignes de memoire, pour les grandes merveilles qui au temps passé y furent apparues. Je tiray celle part, car grant appetit veult estre saturé et vins audit lieu assez estrange a veoir par dehors et semblait bien que l'un des vielz chevaliers de Parceforests eust la, apres tous ses labeurs, esleu et choisi repos par fantaisie. Je vins a la porte : a laquelle trouvay ung moult notable vieillart et homme de chare qui monstroit plus avoir hanté l'art militaire que l'estude. Apres tout salut, luy requis et priay me monstrer le lieu, ce que voulentiers feit. Si me mena premier en la basse court, assez longue, au meillieu de laquelle estoyent encores les vestiges et fractures d'un parron selon et a la mode des faitz chevalleureux de la Table ronde ; puis me mena es grandes et haultes salles lambrussées a tiers point et selon l'ancienne mode cesarienne, et dela es chambres haultes et de mesmes, dont les cheminées estoyent contre le jour. Puis me monstra, en une vieille chambre sus le portal, son vieil harnois tout complet et me dist qui luy avoit bien servy a la journée de Montlehery, toutesfois estoit percé sur l'espaule gauche, je ne scay de quoy ne de qui fors ce qui me dit. De la me mena en une fort vieille chappelle garnie de maces et escus du temps passé a longue pointe dont les blasons avoyent pardu congnoissance. Nonobstant estoit ladicte chappelle bien clerc et par accident et n'estoit resté es fenestres des verrieres que les barres loquetieres de fer pourry, en laquelle estoit ou avoit esté painte la creation du monde aux costez des deux murs. Et estoit Saturne au hault d'ung coing despaint selon sa nature, puis Mercure joinct au Soleil et la Lune a l'oposite tendant la main hault, et autres speculatives figures difficiles juger a l'il, où je prins plaisir a cause de l'invention, combien que tout estoit quasi en ruine, mais encore se veoit le trait et peu de couleurs. Cependant faisoit ledit vieillart aprester la collation pour l'onneur de vous, Sire, pour ce que je me osay nommer ung de vos moindres serviteurs. De la me mena en une grande gallerie aornée d'un costé de testes de cerfs garnies de leurs bois haultz et de belle ouverture, de l'autre costé estoit paint la nature des bons limiers et la noble vertu des beaulx, hardis et feables levriers, en quoy avoye plaisir, mais lesdits tous effacés estoyent, qui me fut desplaisir. Apres ce, je luy demanday s'il y avait point de lilbrairie ceans. Lors assez mollernent me dist qu'il y avoit la hault, en une chambre pres d'un coulombier, sus vielz pulpitres, quelques livres du temps de l'oncle de son grant pere, qui fut homme de lectres, mais le vieillart me dist qu'il ne savoit que c'estoit, car jamais n'y avoit esté regarder. Je luy priay avant collation les aller veoir, ce qu'il fit, et la venu, je entray dedans, mais a peine povoit-on veoir les volumes tant estoient chargez de pouldre, et croy que cent ans estoient passez sans estre veuz ne maniez. Je vins au hault bout et veiz quelque volume en la faculté de theologie, en decret et droit civil, puis en art oratoire, en histoires, croniques et romans comme la Table ronde, Merlin et Melusine ; en l'autre costé estoyent livres de philozophie, comme de Platon, Anaxagoras, Socrates, Diogenes, Pitagoras, Democritus, et toute la Phisique d'Aristote où je me arrestay ung peu. Apres avoir veu et trop esté la au gré du vieillart, ainsi que m'en venoye, je veiz, derrière l'uys, ung trou sus lequel estoit paint une teste de mort avec ses oreilles que bien contemplay ; si approchay et veiz dedans le trou ung livret si fort viel, plus relié d'yraignes et de pouldre que d'aultre couverture. Je le prins doulcement et soufflay la pouldre, si veiz qu'il estoit intitulé : La Complainte de Nature, puis tournay feuillet et leu, mais a grant peine, car il estoit fort vieil et avoit longtemps qu'il estoit escript, et y avoit : ce livre ne fut jamais veu que de moy et l'a escript ung esperit de terre et soubz terre. Lors fus esmeu, mais sans peur, et priay au vieillart qu'il le me prestat ung peu, mais je n'eus pas sitost dit le mot qu'il me dist : " Vrayement, je le vous donne et tous les autres, si les voulez, car aussi bien je n'en fais rien. " Il me feist grant plaisir et luy remerciay bien, car ce me sembloit un riche don. Apres
collation faicte, derechief te remerciay tant du petit livret que de l'onneur
et plaisir qu'il m'avoit fait, et prins congié de Iuy et tantost montay
a cheval, car le grant desir que j'avoye de veoir entierement le livret me feist
picquer tellement que tost fus arrivé a Lion. Or,
Sire, considéré les dons de grace, nature et fortune dont Dieu vous
a doué et que vous delettez apres les affaires de vostre reaulme a veoir
livres divers et euvres nouvelles, joinct que scavez des ars tant sermocinaux
que mathematiques, et maintesfois vous en ay bien ouy parler et reciter, mais
c'est a cause que Mercure vous a fait participant de sa noble influence en vostre
nativité, c'est promptitude d'eloquence : a ceste fin, je me suis enhardy,
soubz confiance de vostre benigne excuse, vous en faire ung petit prcsent, non
pour satisfaire de valleur, mais pour ce que jamais homme ne le veit, et bien
en suis seur, et ne fut oncques Combien, Sire, que le noble art d'alchimie soit bon et vray, plus naturel que rnechanique et manuel, et, comme dit sainct Thomas en son livre De Trinitate qu'il a fait sus Bocce de consolation, disant " Medicine et alchymie sont vrais ars et certains ", mais, Sire, c'est des grans et occults secretz de nature, qui ne se manye pas par les mains des ignares et grosses testes, ainsi que Hermes et un vieil philozophe dyent, nomé Armigaudus, et comme bien le dit Morien le bon vieillart romain en parlant a Calid roy des Egiptiens, lequel Morian vesquit deux cens ans au moyen et en partie d'icelle science, et quoyqu'elle soit desprisée du monde, c'est par ses folz venteurs, deceus et decepteurs, sotz souffleurs sophistiques, trompez et trompeurs, qui vont par le monde et se ventent d'enrichir les princes et seigneurs, et eulx mêmes sont pauvres de sens et de biens, ou, s'il en ont, c'est a l'opposite de juste tiltre. Doncques, Sire, pour clorre le bec a telz affectez venteurs, menteurs et qui peu scevent en celle noble science, vous leur pourrez alleguer, lire ou montrer aucunes sentences qui sont sus la marge du livre vrayes et auctorisées qu'on ne peut nyer, et puis dyent que qu'ilz vouldront. Si vous supplie, Sire, prendre en gré le petit livre intitulé La Complainte de Nature, avec le grant vouloir et petit scavoir de vostre, en toute reverance, treshumble et tresobeissant subject et serviteur. " Bibliothèque
Sainte-Geneviève - 3220, f o1. 1.4 v°
----------------------------------------------- André VERNET conclura cette page par ces mots :
Les théories qu'il expose sur la constitution du monde et des éléments, sur l'interdépendance et l'interaction du macrocosme et du microcosme, sur la nature de la quinte essence et de la pierre philosophale ; les opérations nécessaires à la fabrication de l'or potable qu'il décrit, n'offrent, semble-t-il, aucune vue qui lui soit personnelle. Perréal pouvait les trouver dans tous les traités couramment utilisés par les alchimistes du XVème siècle. " "
L'originalité réelle de Perréal réside avant tout
dans le fait que son poème est le premier en date des poèmes français
qui au XVIème siècle aient essayé de traiter pareil sujet.
Perréal n'avait à sa disposition que des traités volumineux
en un latin barbare et confus et quelques vers, à la vérité
bien venus, du Roman de la Rose. Perréal a su bâtir une uvre
qui n'a pas péri et où il a laissé la marque de ses qualités
propres : clarté, précision un peu sèche, élégante
concision. Il n'encombre point ses vers de descriptions fumeuses en style hermétique.
Son vocabulaire technique n'ignore aucun des éléments requis pour
le Grand uvre, il connaît les appareils nécessaires, il décrit
dans les termes les plus appropriés les phases successives de la chrysopée
: on a pu dire qu'il avait rationalisé " l'alchimie. " " Ainsi est complétée l'image de ce génie universel auquel rien n'aura manqué. Peintre, sculpteur, architecte, Perréal, comme les maîtres de la Renaissance italienne, joignit à ces divers talents celui d'écrire. Six manuscrits, sept impressions françaises, onze éditions au moins de la traduction allemande, trois de la version latine et une traduction anglaise ont assuré à son poème un public étendu et laissent soupçonner, sinon apprécier, l'influence que Jean Perréal, à notre insu, a pu exercer pendant plus de deux siècles sur la littérature alchimique de l'Europe et sur la poésie scientifique en France. "
----------------------------------------------- Pour lire la poésie en son entier, cliquer sur l'adresse suivante : p. 171sq ----------------------------------------------- Manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=BSGC11432 A.
Erlande-Brandenburg, Une peinture retrouvée de l'alchimiste Jean de
Paris ou Jean Perréal, in Bulletin monumental, 1968, 2, pp. 198-200. ----------------------------------------------- On
pourrait écrire de Jean Perréal ce que Marcel Brion écrit
de Léonard de Vinci :
-----------------------------------------------
Curieux ces trois anneaux entrelacés par Jean Perréal à côté de sa signature... Nous les retrouvons semblablement unis dans cette illustration de la Trinité chrétienne extraite d'un manuscrit de 1355 conservé à la bibliothèque de Chartres jusqu'en 1944.
" Ce que j'ai avancé, dans mon nud borroméen de l'imaginaire, du symbolique et du réel, m'a conduit à distinguer ces trois sphères, ces boules, et puis ensuite à les renouer. J'ai énoncé le symbolique, l'imaginaire et le réel en 1954 en intitulant une conférence inaugurale de ces trois noms devenus en somme par moi ce que Frege appelle nom propre. Fonder un nom propre est une chose qui fait monter un petit peu votre nom propre. Le seul nom propre dans tout ça, c'est le mien. C'est l'extension de Lacan au symbolique, à l'imaginaire et au réel qui permet à ces trois termes de consister. " (Ornicar ?, 12-13 décembre 1977, p. 7) Ainsi,
les trois instances discernées par Lacan sont devenues des noms qui s'ajoutent
au nom de Lacan. Dire " le Symbolique, l'Imaginaire et le Réel "
(le " SIR "), c'est aussi dire le nom de Lacan. S'il y a le Lacan du
Symbolique, le Lacan de l'Imaginaire et le Lacan du Réel, il y a aussi
le Lacan symbolique, le Lacan imaginaire et le Lacan réel. (Je renvoie au livre de Dany-Robert Dufour, Les Mystères de la trinité, Gallimard, 1990, pp.260-1) Nud borroméen illustrant l'intrication du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire au sens lacanien
Un site internet (en anglais) uniquement consacré à ces anneaux : http://www.liv.ac.uk/~spmr02/rings/index.html
La balance est le symbole d'exactitude lié aux 7 marches où peuvent se lire les 7 principaux échelons de la Connaissance, dans l'approfondissement des 7 Arts libéraux sur lesquels l'initié doit méditer. C'est aussi un attribut d'Equilibre et de Justice, qui veille à rectifier toute conduite déviante. Les trois phases du cheminement intérieur de l'initié : A l'aide des trois outils : le niveau et l'équerre, l'initié descend à l'aide du fil à plomb perpendiculaire aux enfers (en lui-même) en trois temps, puis remonte (au grade supérieur) jusqu'au plan puis jusqu'à la pointe de la pierre cubique assimilable au sommet d'une montagne (représentant sa capacité à devenir Maître) :
Ce
sont des larmes d'argent qui matérialisent le chagrin des enfants de la
Veuve. Le sacrifice du Maître, consenti pour sauver la conception d'une
uvre, laisse l'ensemble des initiés orphelins. Les
pleurs sont des larmes d'argent dans lesquelles la lumière, comme une perle,
se trouve enchâssée. Le chemin de l'initié peut se faire dans
les larmes, mais ce sont des larmes d'argent qui sont autant de perles de spiritualisation,
expression du nécessaire sacrifice de l'ego en sa transmutation lumineuse.
La lumière est présente dans les larmes d'argent, mais par reflet
lunaire, car toute lumière directe est aveuglante. Les larmes d'argent
symbolisent la force et la volonté liées au sacrifice. On trouve
dans l'eau des larmes, un reflet de lumière. Les
larmes sont salées. Le sel est l'élément médian entre
le soufre et le mercure, principes de base de l'uvre alchimique. Le sel
marque la durée et la fidélité d'une alliance que rien ne
peut corrompre, ni altérer. Dans la pratique orientale de l'hospitalité,
les partages du sel et du pain sont étroitement liés. Le sel se
dit en hébreu melah, alors que le pain se dit lehem. Ces deux mots sont
composés des mêmes consonnes dans un ordre différent, le sel
comme le pain sont des expressions de convivialité fortes liées
à la vie. " (p.95)
Dans
la version du rituel de Maître Secret rapportée par le transcripteur
du nom d'Abraham, Salomon dit au récipiendaire : l'il qui est placé
sur la bavette de votre tablier doit rappeler à votre mémoire que
vous devez veiller continuellement à la conduite de l'ouvrage. L'il est représenté en forme d'amande, sans sourcils, ni cils, bleu, or, blanc et noir. il intemporel et immatériel. L'il
est un symbole universellement répandu dans toutes les traditions. L'il frontal qui est sur le tablier désigne un centre subtil, celui du nombril qui relie à la Terre Mère. Il correspond à la descente de l'énergie primordiale dans la matière ou à la spiritualisation de celle-ci. Cet il central sur l'ombilic correspond à la perception intelligible. Cet il peut être considéré aussi comme représentant le regard intérieur de la conscience de soi. Il se rapporte à un regard de clairvoyance intérieur et extérieur. De nature solaire, l'il sur le tablier indique l'éveil des potentialités. Il est Principe et manifestation. Il représente l'objectif idéal de toute quête initiatique. Toute chose ayant un sens caché, le Maître Secret doit clore sa bouche pour élargir sa vision, la lumière recherchée étant en soi, son devoir est de la rayonner. Il faut atteindre un équilibre en trouvant dans son cur la force de l'Amour dont la connaissance n'est pas dans l'il de chair, mais dans l'il spirituel ou il d'une conscience supérieure. " Irène Mainguy (pp.105/6)
Les trois triangles "
On peut enfin voir aussi dans la représentation de ces trois triangles
entrelacés l'alliance de l'initié avec lui-même ou son unification
intérieure dans ses trois plans fondamentaux physique, animique et spirituel. La représentation de ces trois triangles entrelacés est envisageable selon deux tracés différents : Dans
la seconde figure (initialement représentée sur les tabliers du
2è Ordre de sagesse du Rite Français) : on peut considérer
que les trois côtés ou qualités primordiales de l'être
: Essence - Connaissance - Perfection se réfléchissent
dans le triangle supérieur comme Conscience - Intelligence
- Volonté, pendant que ses trois points ou sommets (Omnipotence
- Omniscience - Omniprésence) produisent les trois qualités
de la matière : Activité - Inertie - Rythme. Les
trois triangles inscrits dans le cercle figurent un triple ternaire dans la quête
du centre, toujours éloignée des pas du maître quand ceux-ci
se dirigent de manière centrifuge vers l'extérieur, cependant qu'ils
s'approchent du centre par un mouvement centripète dirigé vers l'intérieur.
Ces deux mouvements peuvent être figurés par les deux spirales involutives
et évolutives représentées respectivement par les nombres
6 et 9 (69 est aussi le symbole du signe du cancer dans le zodiaque). On peut voir aussi dans les neuf sommets de cette figure des trois triangles entrelacés les 9 Maîtres (3x3) partis à la recherche du maître disparu. " Irène Mainguy (pp.173/4)
"
La trinité est une re-présentation de l'absence - jusqu'à
sa forme extrême, la mort - dans la présence. Sans trinité,
pas de symbolisation, pas de socialité. L'homme a toujours été
trinitaire parce qu'il a toujours dû constituer sa symbolicité à
partir de la re-présentation de la mort dans la vie. Pensée unaire
(inversion vie/mort) et pensée trinitaire (vie comme coprésence,
ici, et mort, là, supportée par un troisième) sont liées
: celle-ci exprime celle-là. Le sacrifice est la représentation principale de La Chasse à la licorne. La Licorne-Christ prend sur Elle (Lui) la mort, pour que le lien social demeure. Du
même Dany-Robert Dufour : p.182 : " Nous manquons d'une généalogie de la trinité qui mette en lumière toutes les formes qu'elle a pu revêtir, entre la simplicité archaïque de la suite ternaire dans le récit et la simplicité actuelle de la forme trinitaire dans la langue naturelle. Il viendra peut-être un jour où les figurations religieuses de la trinité apparaîtront comme les concrétions baroques d'une forme décidément très simple qui a toujours accompagné les hommes. " p.338 : " L'inconscient, c'est le nom générique des processus unaires et trinitaires que subit un être dans sa formation comme sujet parlant. La psychanalyse freudienne s'est constituée de faire sienne deux formes mythiques, l'une unaire et l'autre trinitaire : Narcisse et dipe. Lacan a réinterprété ces deux formes mythiques en objets théoriques Narcisse est devenu le " stade du miroir " dont émane l'objet unaire 'a' ; dipe et les autres références trinitaires ont été refondues dans le nud borroméen. À ce titre, la psychanalyse est une " science " unaire et trinitaire. " Et
enfin pp.423-4 : " La principale caractéristique
des processus unaires : l'interminabilité.
Un livre, écrit en prose, présente, comme en écho, quelques points communs avec La Complainte de Perréal. Il s'agit du Dialogue entre la Nature et le Fils de la Philosophie, attribué à Egidius De Vadis qui l'aurait rédigé en 1521. Il fut imprimé pour la première fois à Francfort en 1595 par l'Alchimiste Bernard-Gabriel Pénot du Port. Ce traité est un discours initiatique dans lequel la Nature, personnifiée, engage l'Alchimiste à réfléchir sur le magistère en prenant son uvre en exemple et en observant comment elle gouverne par la mesure et la proportion des éléments. Vingt-deux chapitres où alternent les questions du Fils de la Philosophie (un Alchimiste désorienté par la difficulté de l'Art) et les réponses de Nature chez qui l'on retrouve la même pensée que Perréal prêtait à la sienne, mais dans un style plus 'torturé' car, comme le dit à plusieurs reprises l'Alchimiste débutant : " Certes, ô divine Nature, vos paroles sont très vraisemblables au premier abord, mais elles sont ensuite difficiles à comprendre. " (Ed. Dervy, 1993, p.98.) Et de poser une nouvelle question. En voici la dernière réplique de La Nature pp.104-105 "
La Nature : http://www.esoblogs.net/Dialogue-entre-la-Nature-et-le.html
Mircea ELIADE, Histoire des croyances et des idées religieuses, T1, pp.64-67 §15. Contexte religieux de la métallurgie mythologie de l'âge du fer.
Les peuples paléo-orientaux ont vraisemblablement partagé des idées analogues. Le mot sumérien AN.BAR, le plus ancien vocable désignant le fer, est écrit par les signes "ciel" et "feu". On le traduit généralement par "métal céleste" ou "métal-étoile". Pendant assez longtemps, les Égyptiens ne connurent que le fer météorique. Même situation chez les Hittites : un texte du XIVe siècle précise que les rois hittites utilisaient "le fer noir du ciel". Mais le métal était rare (il était aussi précieux que l'or) et son usage fut plutôt rituel. Il fallut la découverte de la fusion des minerais pour inaugurer une nouvelle étape dans l'histoire de l'humanité. A la différence du cuivre et du bronze, la métallurgie du fer devint très vite industrielle. Une fois découvert le secret de fondre la magnétite ou l'hématite, on n'eut plus de peine à procurer de grandes quantités de métal, car les gisements étaient très riches et assez faciles à exploiter. Mais le traitement du minerai terrestre n'était pas celui du fer météorique, et il différait également de la fusion du cuivre et du bronze. C'est seulement après la découverte des fourneaux, et surtout après la mise au point de la technique de "durcissement" du métal porté au rouge-blanc, que le fer gagna sa position prédominante. C'est la métallurgie du fer terrestre qui a rendu ce métal apte à l'usage de tous les jours. Ce fait a eu des conséquences religieuses importantes. A côté de la sacralité céleste, immanente aux météorites, on est maintenant en présence de la sacralité tellurique, dont participent les mines et les minerais. Les métaux "poussent" dans le sein de la terre. Les cavernes et les mines sont assimilées à la matrice de la Terre-Mère. Les minerais extraits des mines sont en quelque sorte des "embryons". Ils croissent lentement, comme s'ils obéissaient à un autre rythme temporel que la vie des organismes végétaux et animaux - ils ne croissent pas moins, ils "mûrissent" dans les ténèbres telluriques. Leur extraction du sein de la Terre-Mère est donc une opération pratiquée avant terme. Si on leur avait laissé le temps de se développer (c'est-à-dire le rythme géologique du temps), les minerais seraient devenus des métaux mûrs, "parfaits". Partout dans le monde, les mineurs pratiquent des rites comportant état de pureté, jeûne, méditation, prières et actes cultuels. Les rites sont commandés par la nature de l'opération qu'on a en vue, car on s'introduit dans une zone sacrée, réputée inviolable ; on entre en contact avec une sacralité qui ne participe pas à l'univers religieux familier, sacralité plus profonde, et aussi plus dangereuse. On a le sentiment de s'aventurer dans un domaine qui n'appartient pas de droit à l'homme le monde souterrain avec ses mystères de la lente gestation minéralogique qui se déroule dans les entrailles de la Terre-Mère. Toutes les mythologies des mines et des montagnes, les innombrables fées, génies, elfes, fantômes et esprits, sont les épiphanies multiples de la présence sacrée que l'on affronte en pénétrant dans les niveaux géologiques de la Vie. Chargés de cette sacralité ténébreuse, les minerais sont dirigés vers les fourneaux. Alors commence l'opération la plus difficile et la plus aventureuse. L'artisan se substitue à la Terre-Mère pour accélérer et parfaire la "croissance". Les fourneaux sont en quelque sorte une nouvelle matrice, artificielle, où le minerai achève sa gestation. D'où le nombre infini de précautions, tabous et rituels qui accompagnent la fusion. Le métallurgiste, comme le forgeron, comme, avant lui, le potier, est un "maître du feu". C'est par le feu qu'il opère le passage de la matière d'un état à un autre. Quant au métallurgiste, il accélère la "croissance" des minerais, il les rend "mûrs" dans un intervalle miraculeusement bref. Le fer s'avère être le moyen de "faire plus vite", mais aussi de faire autre chose que ce qui existait déjà dans la Nature. C'est la raison pour laquelle, dans les sociétés archaïques, les fondeurs et les forgerons sont réputés être les "maîtres du feu", à côté des chamans, des hommes-médecine et des magiciens. Mais le caractère ambivalent du métal chargé de puissances à la fois sacrées et "démoniaques" se transmet aux métallurgistes et aux forgerons : ceux-ci sont hautement estimés, mais aussi craints, tenus à l'écart ou même méprisés. Dans nombre de mythologies, les forgerons divins forgent les armes des dieux, en leur assurant ainsi la victoire contre les Dragons ou autres Êtres monstrueux. Dans le mythe cananéen, Kôshar-wa-Hasis (litt. "Adroit-et-astucieux") forge pour Baal les deux gourdins avec lesquels il abattra Yam, Seigneur des mers et des eaux souterraines. Dans la version égyptienne du mythe, Ptah (le Dieu-Potier) forge les armes qui permettent à Horus de vaincre Seth. De même, le forgeron divin Tvastr exécute les armes d'Indra lors de son combat avec Vrtra ; Héphaistos forge la foudre grâce à laquelle Zeus triomphera de Typhon. Mais la coopération entre le Forgeron divin et les Dieux ne se limite pas à son concours dans le combat décisif pour la souveraineté du monde. Le forgeron est également l'architecte et l'artisan des dieux, dirige la construction du palais de Baal, et équipe les sanctuaires des autres divinités. En outre, ce Dieu-Forgeron a des rapports avec la musique et le chant, tout comme dans nombre de sociétés les forgerons et les chaudronniers sont également musiciens, poètes, guérisseurs et magiciens. A des niveaux de culture différents (indice de grande antiquité), il semble donc exister un lien infime entre l'art du forgeron, les techniques occultes (chamanisme, magie, guérison, etc.) et l'art de la chanson, de la danse et de la poésie. Toutes ces idées et croyances articulées autour du métier des mineurs, des métallurgistes et des forgerons ont sensiblement enrichi la mythologie de l'homo faber héritée de l'âge de la pierre. Mais le désir de collaborer au perfectionnement de la Matière eut d'importantes conséquences. En assumant la responsabilité de changer la Nature, l'homme se substitua au Temps ; ce qu'auraient demandé des Éons pour "mûrir" dans les profondeurs souterraines, l'artisan estime pouvoir l'obtenir en quelques semaines ; car le fourneau remplace la matrice tellurique. Des millénaires plus tard, l'alchimiste ne pensera pas autrement. Un personnage de la pièce de Ben Jonson, The Alchemist, déclare : " le plomb et les autres métaux seraient de l'or s'ils avaient eu le temps de le devenir ". Et un autre alchimiste ajoute : " Et c'est là ce que réalise notre art ". La lutte pour la "maîtrise du Temps" - qui connaîtra son plus grand succès avec les "produits synthétiques", obtenus par la chimie organique, étape décisive dans la "préparation synthétique de la Vie" (l'homunculus, le vieux rêve des alchimistes) cette lutte pour se substituer au Temps, qui caractérise l'homme des sociétés technologiques modernes, était déjà engagée à l'âge du fer. "
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Dans
le livre troisième de sa Cosmographia de Affrica (Description
de l'Afrique) écrite en italien à la demande du pape et publiée
à Venise vers 1525 et 1527, coincés entre " ceux qui s'amusent
à chercher les trésors " dans les ruines anciennes et les cavernes
et les " charmeurs et enchanteurs de serpents ", voici les " alquémistes
" évoqués par Hassan al-Wazzan, dit Léon
l'Africain, et traduits en 1830 par Jean Temporal dans une langue quelque
peu surannée : " Et ne se faut pas persuader qu'il y ait faute d'alquémistes ; car tant s'en faut que le nombre soit petit, qu'il y en a une infinité de ceux qui s'étudient à telle folie ; mais la plus grande partie est de personnes ignares, de rude esprit, et qui puent démesurément, pour le soufre qu'ils manient ordinairement, avec d'autres odeurs qui ne sont guère plus plaisantes à sentir. Ils ont coutume de se retirer le plus souvent au temple Majeur, pour plus à leur aise et hors du tumulte, disputer des choses concernant leurs fantastiques imaginations, se réglant selon ce qui est écrit dans une grande quantité de volumes qu'ils ont traitant de telle matière, et composés par des hommes doctes et éloquents. Le premier de ces volumes a pris le nom de Géber, qui fut cent ans après Mahomet, et (comme l'on dit) fut un grec renié, écrivant son livre et ses recettes toutes par allégories. Il y a encore un autre auteur qui a fait un grand uvre, lequel était appelé Attogréphi, qui fut secrétaire du soudan de Bagdad, comme nous avons récité en la vie des philosophes arabes ; et un autre, composé en cantiques, je dis tous les articles et principaux points de cet art, l'auteur duquel s'appelait Mugaïribi, grenadin, et fus commence par un mameluck de Damas, homme fort docte et expert en cette science ; mais la glose est beaucoup plus obscure et moins intelligible que le texte. Ces alquémistes sont divisés en deux bandes, dont les uns vont cherchant l'élissir ; c'est à savoir la matière qui tient toute veine et métal, et les autres s'étudient à avoir la connaissance de la multiplication des métaux pour les incorporer. Mais j'ai pris garde que le plus souvent cette manière de gens se met enfin à falsifier la monnaie, qui est cause qu'on en voit la plupart sans poing en la cité. " |
Qui
façonne ou dessine un joyau médite sur l'essentiel. L'alchimiste
est l'homme qui met dehors ce qui se trouve dedans et dedans ce qui se trouve
dehors : le joyau, comme négatif d'espace non seulement nous éblouit
mais aussi nous trouble et nous effraie tout en suscitant notre exaltation, notre
rancur et notre infinie mélancolie face à l'impossibilité
d'être comme lui
immortels. Fernando
ARRABAL, Joyaux, in Humbles Paradis, Bourgeois, 1985 |
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